12. AU MÊME.
Ruppin, 4 mai 1739.
Mon cher comte,
Je sens qu'un ami sincère doit préférer le bien et la gloire de son ami à sa propre satisfaction. Je renonce donc à vous posséder pour celte année; mais je n'y renonce que conditionnellement, et je me réserve l'espérance pour le printemps prochain.
Nous sommes ici occupés à rendre hommes des créatures qui n'en ont que la figure. Législateurs militaires, nous n'en sommes pas moins chargés de l'art de conduire les hommes. C'est une étude continuelle de l'esprit humain, et dont le but tend à rendre des âmes très-gros-sières susceptibles de gloire, à réduire sous la discipline des esprits mutins et inquiets, et à cultiver les mœurs de gens dissolus, libertins et scélérats. Tout ingrat que paraît ce travail, on le fait avec plaisir; ce fantôme qu'on appelle la gloire, cette idole des gens de guerre, anime et encourage à rendre une troupe déréglée capable d'ordre et<234> susceptible d'obéissance. On voit des campagnes, des sièges, des combats en perspective, et l'imagination, échauffée sur ces objets, vous peint des victoires, des trophées et des lauriers. Je souhaite que nous puissions partager un jour cette gloire et ces lauriers si difficiles à gagner; je le souhaite de tout mon cœur; il me semblera même qu'ils me seront plus précieux, si c'est en si bonne compagnie qu'on pourra les cueillir.
Je suis avec une très-parfaite estime,
Mon cher comte,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.