34. A M. DE SUHM.
Remusberg, 7 novembre 1736.
Mon cher Diaphane,
Vous n'avez pas lieu de vous excuser d'une inexactitude à me faire tenir vos lettres, à laquelle certainement vous n'aviez aucune part. C'était ma faute d'avoir pris de fausses mesures pour me les faire parvenir, et je vous ai bien des obligations d'avoir réglé la marche de notre correspondance mieux qu'elle ne l'était.
Je vous avoue, mon cher Diaphane, que l'Épître dédicatoire de M. des Champs m'a paru bien plate. Est-il permis de donner de la sorte à quelqu'un de l'encensoir au milieu de la physionomie? Louer une personne que l'on dit ne point connaître, n'est-ce pas faire l'éloge d'un héros de roman, d'un être imaginaire qui n'a de réalité que dans le cerveau de l'auteur? Passe encore si cette Épître était placée à la tête d'une tragédie ou d'un poëme épique; on pourrait en quelque sorte excuser l'auteur en disant que, animé du feu de la poésie, il s'était laissé aller à l'illusion d'une imagination échauffée, et n'avait pas assez écouté la raison. Mais que, à la tête d'une Logique, le faible traducteur fasse par son Épître dédicatoire l'aveu qu'il ne sait pas raisonner lui-même, c'est, selon moi, une faute essentielle. Lorsque le traducteur me l'envoya, je le fis remercier du bel ouvrage qu'il avait bien voulu me dédier, mais je lui fis dire en même temps que, sensible à la bonne volonté qu'il m'avait témoignée dans sa dédicace, je<323> croirais le payer d'ingratitude, si je ne lui disais naturellement que je souhaiterais, pour l'amour de lui, qu'il eût changé l'Épître dédicatoire.
Je ne crois pas que l'on ait jamais, dans une lettre, autant parlé d'une dédicace que je viens de le faire ici. Le reste de l'ouvrage, autant que j'en puis juger, me paraît heureusement exécuté. Il n'avait pas besoin de marquer dans sa préface les difficultés qu'aurait à surmonter quiconque essayerait de traduire la Métaphysique de Wolff, pour que cela fît augmenter la reconnaissance que je vous dois pour cet ouvrage; le plus grand prix que j'y trouve, c'est le motif d'amitié pour moi qui vous l'a fait entreprendre, sans compter que la traduction est très-fidèle et très-exacte.
Nous passons ici notre vie le plus doucement et le plus agréablement qu'il soit possible. Notre compagnie est fort jolie, et nos heures assez bien partagées. Je voudrais, mon cher Diaphane, que vous dissiez des nôtres : vous couronneriez l'œuvre, et ajouteriez à nos plaisirs champêtres les charmes de l'amitié; j'aurais la satisfaction de vous voir, de m'entretenir avec vous, et de vous assurer de vive voix de la parfaite et sincère estime avec laquelle je suis à jamais,
Mon cher Diaphane,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Frederic.