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98. AU MÊME.

Znaym, 28 février 1742.

Cher Jordan, MM. les hussards m'ont escamoté le plus joliment ou, pour mieux dire, le plus vilainement du monde des lettres où il y en avait une pour vous. Savoir si l'ennemi en profitera. C'est de quoi je doute, car, autant que je m'en ressouviens, c'était un tissu de misères et de pauvretés. Vous y profitez le temps que vous auriez perdu à les lire. Le public aura peut-être l'avantage d'en posséder Tindal Jordanien quelques semaines plus tôt, et moi, j'aurai la mortification de manquer un jour de poste de vos lettres. Voilà bien des conséquences que cause une lettre égarée. Je vis ici, à Znaym, du jour à la journée, quelquefois fort occupé et quelquefois très-désœuvré. Je m'applique cependant, lorsque j'en ai le loisir; je lis, je compose et je pense beaucoup. C'est tirer profit de sa machine, direz-vous. Il est vrai; mais je réponds que l'on fait bien de profiter de son estomac, d'autant plus que la digestion est quelquefois incertaine. De même doit-on, dans cette courte vie, user soi-même de ses ressorts, car ils s'usent sans cela inutilement et par le temps, sans que l'on en profite.

Les maisons ont toutes ici des toits plats à l'italienne, les rues sont fort malpropres, les montagnes âpres, les vignes fréquentes, les hommes sots, les femmes laides, et les ânons très-communs. C'est la Moravie en épigramme.

Dans ce moment, je reçois votre lettre moitié prose, moitié vers, dont je vous remercie; mais elle n'est pas encore assez longue, et vous devez savoir que je fais une grande différence entre les longs ouvrages et les jolies lettres. Mettez tout Berlin dans vos vers, des bagatelles, des riens; car ma curiosité est un gouffre insatiable, sur-