111. DE M. JORDAN.
Berlin, 3 avril 1742.
Sire,
Je suis tout orgueilleux de l'approbation dont Votre Majesté veut bien honorer mes lettres; cela est bien propre à m'encourager.
Vous louez mes vers prosaïques,
Mais plaignez-en plutôt l'auteur,
Car il n'est versificateur
Qu'en dépit des lois poétiques.
Son sel est un sel frelaté
Qui ne sent point du tout l'Attique;
Son goût est un peu trop gothique
Pour imiter l'antiquité.
Pour revenir à la comète, j'avouerai à V. M. que je suis fort peu satisfait de sa conduite; à peine daigne-t-elle se faire voir. On dit pourtant qu'elle a des talents, qu'elle peut paraître avec décence, et qu'elle gagne à être vue. Je n'en sais rien; j'ai fait tout ce que j'ai pu pour lui rendre mes hommages; on m'a dit qu'elle se plaçait vers l'étoile polaire, et que de là elle vous considérait bataillant.
Je suis malheureux, car ma vue
Voit souvent les objets bien peu distinctement;
Mes yeux et mon esprit ont souvent la berlue,
Et me manquent à tout moment.
Il ne me reste que l'ouïe, l'attouchement et le goût. Pourvu que ceux-là ne diminuent point, je suis content, parce que j'ai appris à me contenter.
Jordan peut être fort heureux,
S'il conserve du goût pour un bon vin qui mousse,
S'il se sent rajeunir en touchant peau bien douce,
S'il entend les récits de vos faits glorieux.