<255>Je le dis sans détour, et tu n'auras rien fait,
Si tu ne peux bannir deux monstres de ce monde.
L'Ambition et l'Intérêt.a
Ma muse, qui s'emporte quelquefois, vient de produire ces stances; l'imagination se réchauffe encore de temps en temps chez moi, lorsque les affaires dont je suis souvent surchargé le permettent. Ce sera à Charlottenbourg que je compte retrouver mon Apollon, quoique les soins et l'âge en doivent diminuer le feu. Si je vois qu'il me refuse totalement, je me jetterai dans l'éloquence et la morale. Nous passerons des jours heureux, du moins raisonnables, car nous raisonnerons beaucoup.
Là, sous le studieux ombrage
De ces tilleuls verts et fleuris,
Nous rirons du frivole ouvrage
Des mortels par des riens épris,
Et des catins et des Fleurys,
Et des fous qui se jugent sages,
Et font de pompeux étalages
De leurs puérils écrits.
Que nous rirons de ces maris
De qui le bruyant cocuage
Fait la fable du voisinage,
Et n'est ignoré que par eux,
Et des autres qui, plus heureux,
Se sont fait ce maquerellage!
Nous passerons devant nos yeux
La bigarrure de ce monde,
Les projets sur quoi l'on se fonde.
Et les vains objets de nos vœux,
Enfin, cette erreur si commune
Aux souverains, aux conquérants,
La gloire, objet de leur encens,
De leurs malheurs, de leur fortune.
a Ces vingt-cinq vers se trouvent aussi en tête de la lettre du Roi à Voltaire, du 18 juin 1742, mais avec quelques variantes.