156. DE M. JORDAN.
Berlin, 23 juin 1742.
Sire,
On ne parle ici depuis quelques jours que de la paix; je ne sais d'où ce bruit s'est répandu. On dit que V. M. a donné des ordres qui la supposent infailliblement; que les gardes vont à Ruppin; qu'on a pris des arrangements nécessaires pour les régiments qui reviennent de l'armée. On nomme même ceux qui seront à Berlin en garnison. On dit que V. M. arrive le 25 à Breslau; enfin une infinité de choses semblables.
La dernière lettre dont il a plu à V. M. de m'honorer mérite d'être gravée sur l'airain. C'est la lettre la plus sensée qu'on puisse écrire; elle figurerait placée dans Jules César et Cicéron; j'en suis enthousiasmé. La démarche de V. M. porte avec soi sa justification; il en est des alliances comme des contrats, ils ne valent qu'autant que les parties contractantes en remplissent les conditions réciproquement. Le bon sens, le droit naturel, sont et seront les apologistes de cette conduite, qu'a tenue autrefois le Grand Électeur à l'égard de la France. D'ailleurs, les moralistes ne conviennent-ils pas généralement qu'on est autorisé à faire un petit mal pour en éviter un plus grand? Je défie les casuistes les plus rigides de pouvoir répondre d'une manière sensée aux raisons que V. M. allègue dans sa lettre.
Quand je considère en gros les différents événements arrivés depuis la mort de l'Empereur, ils me paraissent tous concourir à la gloire de V. M. Le roi de Prusse, qu'on ne croit occupé que de ses plaisirs et de la lecture, commence le premier à faire tête à une puissance redoutable, dans un temps où l'on devait s'y attendre le moins. L'Europe est frappée de la témérité de cette entreprise; la bataille de Mollwitz, des villes rendues, en font entrevoir la réussite. Il n'est aucune puissance qui ne travaille à mettre dans son parti le jeune