<26> plus, fait métier toute sa vie de soutenir à cor et à cri les ouvrages de l'auteur de la Henriade. Quelle raison pourrait-il avoir pour se donner un démenti si manifeste? M. de Voltaire l'a-t-il mécontenté? Aucunement. Aurait-on eu de la froideur envers lui? Bien loin de là; vous l'avez comblé de bontés à Cirey, et il s'en est loué à tous ceux de sa connaissance. Vous conviendrez donc, madame, qu'une faute de jugement, une faiblesse d'esprit, qu'on ne doit imputer qu'à la nature, ont fait faire de fausses démarches à Thieriot; joignez à cela les mauvais conseils des personnes auxquelles il s'est confié; il faut passer quelque chose à l'humanité. Croyez-moi, madame, ne prenez point les choses à la rigueur; vous perdriez un homme qui vous est attaché, et dont l'unique défaut est de n'avoir pas reçu de la nature un jugement et un génie dignes de Cirey. Mais qui ne perdriez-vous pas de cette manière? Et si vous ne vouliez accorder votre amitié et vos bontés qu'à des personnes du mérite de M. de Voltaire, je vous avertis, madame, que le nombre de vos amis serait très-petit. J'ai fait écrire à Thieriot, et je le ferai encore, afin qu'il se conduise plus rondement, et qu'il ait plus de cœur qu'il n'en a témoigné jusqu'à présent. Je suis sûr que, si vous lui rendez vos bontés, elles l'encourageront beaucoup à bien faire.
Le zèle infini que vous me témoignez, madame, pour les intérêts de notre ami me charment. Souffrez, je vous prie, que je vous fasse en même temps ressouvenir de la philosophie, qui doit donner une certaine tranquillité d'âme par laquelle les hommes persécutés se mettent au-dessus de la persécution, et qui leur fait étouffer en quelque façon les mouvements tumultueux qu'enfantent en nous le ressentiment et toutes les passions. Il est sûr qu'il est bien difficile de parvenir à un certain état d'indifférence; mais je crois que la condition de l'humanité demande qu'on se munisse puissamment contre les chagrins, contre ce domaine inaliénable de notre état, et que quelque réflexion sérieuse sur la vie humaine nous apprenne à dimi-