7. AU MÊME.
Berlin, 22 juin 1737.
Mon cher Duhan,
Votre souvenir m'est toujours fort agréable, et vos lettres me font le plaisir qu'on a quand on reçoit des nouvelles d'un ami qu'on n'a pas vu de longtemps. Ma sœur m'assure que vous êtes bien à Blankenbourg, et que vous prenez votre parti en philosophe.
J'ai vu, ces jours passés, votre frère de Hollande;a vos traits, votre physionomie et votre ton de voix se sont représentés si vivement à mon imagination, qu'il m'a semblé dans ce moment que je vous voyais et que je vous entretenais. Mais cette illusion ne dura qu'un moment, et fut succédée par cette espèce de chagrin qu'on nomme regret, et que cause la perte d'un bien que nous avons chéri tendrement.
Notre destin, mon cher Duhan, nous sépare. Il peut empêcher ce qui est matériel en nous de se joindre; mais il ne saurait jamais empêcher cet être pensant qui m'anime de vous aimer et de vous estimer. C'est pour moi qu'on vous a exilé; mais souvenez-vous que Cicéron cultiva dans l'exil son éloquence, qu'Ovide y soupira ses tendres vers, et que Scipion, le vengeur et l'appui de sa patrie, soutint un semblable exil avec toute la fermeté stoïque et la patience que la saine raison inspire aux âmes bien nées.
J'ai recommandé vos intérêts et votre bien-être au Duc et à ma sœur. Vous êtes en bonnes mains, et je ne m'inquiète en aucune manière de votre sort. Ma sœur, qui me connaît, pourra vous assurer que je suis toujours le même, que je suis incapable d'oublier ceux qui ont pris soin de mon jeune âge, ni de manquer de reconnais-
a M. Duhan de Vence, général au service de Hollande depuis 1779, mort à Berlin le 22 janvier 1784.