<33>ment de l'île de Corse, après s'être mise en possession de la Lorraine, avec cette différence pourtant que la conquête de ces États se fait ou par violence, ou par supercherie, et que le pays des sciences ne se gagne que par un travail assidu, que toute finesse, que tout artifice pour s'en rendre le maître devient inutile, et que nous n'avons d'autres moyens pour nous les approprier que les forces de l'esprit. Vous autres qui marchez à pas de géant, vous vous imaginez que tout le monde a l'honneur d'être géant comme vous; mais je suis charmé que vous ayez ce défaut de l'humanité, que vous jugiez les autres par vous-mêmes. Daignez à l'avenir vous ressouvenir, madame, que les hommes peuvent se ressembler, mais que, malgré tout cela, ils diffèrent beaucoup d'esprit et de capacité.
Je suis bien aise d'apprendre que l'ami Voltaire a lieu d'être content de la manière dont on lui a fait justice à Paris. Il a très-bien fait de ne point écrire, et la satisfaction qu'il reçoit lui fait plus d'honneur que tous les factums ou tous les écrits par lesquels il se serait compromis. Je fais faire une édition magnifique de la Henriade; tout y sera digne de son auteur. Je lui écrirai dans quelques jours, et lui enverrai la préfacea pour qu'il la corrige, s'il le juge à propos.
Tout ce qui me vient de vous, madame, me sera toujours très-agréable; les nouvelles de Paris, passant par vos mains, gagneront l'éclat qu'un diamant brut reçoit des mains du lapidaire habile, et, d'ailleurs, ce qui vous regarde, et ce qui touche votre aimable ami, me fera toute ma vie un plaisir infini. Je vous prie de me croire avec tous les sentiments de la plus parfaite estime,
Madame,
Votre très-affectionné ami.
a Voyez t. VIII, p. 51-63.