<56>Broglio pris sans vert, un Condé qu'on révère.
Tout poëte et tout peintre, exact également,
Doit fuir surtout du faux le triste aveuglement.
Rigide observateur de toute bienséance,
Qu'il place les objets selon leur convenance;
Et qu'un roi sur le trône ait le sceptre à la main,
Que César soit vêtu comme un héros romain,
Que, choisissant le vrai dans l'air, dans l'attitude,
Un Érasme, un Jordan soit dépeint en étude,
S'appuyant sur un bras, l'œil vif, spirituel,
Et l'esprit au-dessus du monde sensuel,
Méditant gravement quelque phrase oratoire,
Empoignant le papier, la plume et l'écritoire ....
Muse, tout doucement. Sage, discret Jordan,
Plus aimable qu'Érasme, autant ou plus savant,
Mais plus gueux de beaucoup, grâce au destin peu sage
Qui réunit sur toi ton bien, ton équipage,
Qui de livres rongés t'a rendu l'héritier,
Sans feu, sans lieu, d'ailleurs, même sans encrier,
Ma muse ne pouvant chanter ton écritoire
Sans faire à nos neveux une imposture noire,
Mais n'en rendant pas moins hommage à tes vertus,
Elle te servira de ce que sert Plutus.
Reçois donc par mes mains l'instrument de ta gloire;
Aux enfants d'Apollon il sert de réfectoire;
De tout auteur savant fidèle compagnon,
Organe de qui veut faire afficher son nom,
Dans le greffe, au barreau, le commis, le notaire,
Et Bernard,1 et Fleury, Réaumur,a et Voltaire,
En font à leur honneur sortir l'encre à grands flots,
Et Rollin des anciens en tire les travaux.
Du fond de ton esprit je vois déjà d'avance
Découler des torrents de sublime science;
Je vois déjà, rangés sur mes rayons nouveaux,
De tes heureux écrits les gros in-folios,
Croître et multiplier, ainsi qu'une famille,
1 Le banquier. [Voyez t. I, p. 110.]
a Voyez t. I, p. XLIII.