<61> toute son économie de chevaux,a ce qui rapporte à présent dix à douze mille écus, et pourra monter dans quelques années à seize ou dix-huit mille. Je suis sûr que vous y prenez part; aussi en aurez-vous votre petite portion, et je verrai mes bons chevaux prussiens métamorphosés en livres dans votre bibliothèque.
Adieu, mon cher Jordan. N'oubliez point ceux à qui leur destinée très-ambulante fait parcourir les régions voisines des nations hyperborées, et qui soupirent après la tranquillité et le repos. Mes compliments aux êtres pensants qui pensent bien à Berlin.
6. AU MÊME.
Königsberg, 3 août 1739.
Mon cher Jordan, je vous envoie une lettre pour Voltaire, que vous copierez, que vous fermerez de votre cachet, et que vous ferez partir par la voie de Girard.b
Me voici donc arrivé dans la capitale d'un pays où l'on est foudroyé l'été, et où le monde crève de froid en hiver. C'est un pays plus propre à nourrir des ours qu'à servir de théâtre aux sciences. Les habitants, souples, flatteurs, rampants, mais fiers, hautains et arrogants, sont aussi fades dans leur humilité qu'insupportables par leur insolence. Les arts n'ont jamais été cultivés ici, et il y a grande apparence qu'ils ne le seront jamais. Je vous dirai cependant que j'ai entendu prêcher dimanche un ministre qui m'a surpris par son élo-
a L'acte de donation par lequel Frédéric-Guillaume Ier fit présent à son fils de ses haras de Prusse est daté du 19 juillet 1739. Voyez t. XVI, p. 180, 260, 261 et 410.
b Négociant de Berlin.