80. DE M. JORDAN.
Breslau, 2 septembre 1741.
Sire,
Vos vers sont charmants; je ne saurais assez les lire. Ils ne se ressentent pas de la facilité avec laquelle vous les faites.
On ne parle ici que du beau rôle que vous jouez. On assure que le Saxon vient demander en grâce à V. M. qu'il puisse contribuer en quelque chose à la gloire de votre maison.
Le très-fin ministre Bülow,
Avec un air soumis que l'humilité donne,
Vient vous offrir comme un cadeau
Tout le pouvoir de sa couronne.
Je me flatte que V. M. voudra bien lui accorder cette glorieuse prérogative.
Je bénis Dieu et je rends grâce aux soins de V. M. de ce que les affaires vont si bien. A l'abri de vos ailes, je dors aussi tranquillement que je le ferais, si j'étais maître du palladium. Les Berlinois craignent une seconde bataille. Pour moi, je ne la crains plus, parce que je suis assuré de la victoire; et si j'étais à portée de faire le Jean-Baptiste à ces bonnes gens, je les exhorterais à s'en fier entièrement à leur Messie.
Je suis fort tranquille et content,
Frédéric est comblé de gloire;
Il met à profit sa victoire
Et son politique talent.
Cependant V. M. ne se lève pas si matin que le roi d'Angleterre, qui sue sang et eau pour ne rien faire.
Le monarque anglais tous les jours
Se lève au point du jour pour ne faire qu'eau claire,
Tandis que le prussien n'interrompt point le cours
De ses exploits guerriers pour écrire à Voltaire.
<144>Les Muses seront toutes glorieuses de voir que V. M. veut bien ne les pas oublier. Quand je serai au milieu de mes livres, je ne manquerai pas de leur dire ce que V. M. m'ordonne :
Le Roi, votre dieu tutélaire,
Ne regarde son ami Mars
Que comme un ami nécessaire,
Pour lequel il faut des égards.
Mais pour vous, filles du Permesse,
Il vous caresse par plaisir;
Les amusements du loisir
Marchent avecque lui sans cesse.
J'ai l'honneur d'être, etc.