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86. DU MÊME.

Breslau, 24 septembre 1741.



Sire,

M. Algarotti est arrivé avec le ministre de Russie, qui est gai et content;

Car il est tout glorieux
Des faits prussiens qui décorent gazette,
Et il ressemble à la trompette
Qu'au jugement on entendra des cieux.

Le pauvre Suédois est triste et capot, quelques efforts qu'il fasse pour cacher sa tristesse par un extérieur composé. Il fait cependant espérer une chance plus heureuse.

Le sort d'ailleurs est journalier;
Il n'en est pas chez nous de même,
Puisque dans tout exploit guerrier
Le soldat sent le prix de sa valeur extrême.

On assure comme un fait positif la prise de Linz. On ajoute même que l'armée française va à grands pas faire le siége de Vienne, pendant que vous ferez celui de Neisse. Dieu veuille qu'il soit bientôt fait, pour que V. M. puisse goûter, après tant d'exploits guerriers qui vous sont, Sire, si glorieux, la tranquillité et le repos!

Vous goûterez les plaisirs d'une paix
Que vous procurez à la terre.
Jupin quittait parfois son glaive et son tonnerre
Pour goûter du plaisir les séduisants attraits.

J'écris aujourd'hui à Voltaire et à Maupertuis, suivant l'ordre de V. M.

Frédéric, Maupertuis, Voltaire,
Ces beaux esprits ingénieux,
Nous feront goûter sur la terre
Des plaisirs enviés des dieux.

<152>C'est pour moi de l'ambroisie que des discours tels que ceux que j'ai eu l'honneur d'entendre quelquefois prononcer à ces trois têtes pensantes.

A l'imitation des poëtes du siècle passé, j'ai choisi une maîtresse à laquelle je puisse quelquefois adresser des vers, ne pouvant lui présenter autre chose. Je ne sais si V. M. sera contente de cette petite pièce sur l'accord du cœur et de l'esprit.

L'esprit n'a sur le cœur qu'un très-faible pouvoir,
Et le cœur tient l'esprit toujours en esclavage;
L'esprit prescrit au cœur un austère devoir,
Mais le cœur prend, Iris, le plaisir en partage.
Voulez-vous sur l'amour fonder votre bonheur?
Usez dans votre choix d'une sage prudence,
Ne confiez le bien de votre tendre cœur
Qu'à celui des amants qui réfléchit, qui pense.
Qui pourrait condamner semblable liaison?
Ma raison fut toujours sensible à la tendresse;
Mon cœur vous aime, Iris, puisqu'il vous le confesse,
Et mon esprit convient que mon cœur a raison.

Ce n'est pas seulement en amour que mon cœur et mon esprit s'accordent, quelque brouillés qu'ils soient quelquefois.

Mon cœur est charmé de servir
Un roi que mon esprit admire;
Tous deux ressentent le plaisir
De son aimable et doux empire;

Car j'ai l'honneur et l'avantage d'être, etc.