115. A M. JORDAN.
Prossnitz, 8 avril 1742.
Je ne puis te faire des vers aujourd'hui, car nous marchons sur ces chemins montagneux où l'on voit
Des poteaux avec leurs merlettes,
Qui disent aux passants : En Bohême vous êtes;
Où les saints, partout ennichés,
Sur ponts et rochers sont perchés;
Où les gueux en grosse cohorte,
Le chapelet en main et bien fort nasillant,
Pensent par leurs chansons émouvoir le passant;
Où, si vous marchez sans escorte,
Les pandours de mauvaise humeur
Vous déshabillent monseigneur.
C'est par ces routes que la plus grande partie de notre armée marche pour se joindre au prince d'Anhalt et au prince Léopold auprès de Pardubitz et
Non loin de ces lieux qu'habita
Wallenstein et le grand Ziska,
Près de ce camp si fort célèbre
Où le héros bohémien
Démit en un jour la vertèbre
A ces troupes, le fier soutien
De ceux qui, lui faisant la guerre,
Comme lui ravageaient la terre.
<193>Voici des vers qui sont venus au bout de ma plume je ne sais comment, et que vous trouverez, je crois, très-mauvais.
Ce sont les bons qui me sont difficiles;
Pour les mauvais, ils ne me coûtent rien.
Tous les auteurs ne sont pas si habiles
Que l'est Jordan Tindalien.
Les Muses sont quinteuses, indociles,
Lorsque la cour on ne leur fait pas bien;
Et moi, qui cours par les camps, par les villes,
Comme un bandit, comme un maître vaurien,
J'y perds mon temps et tous mes soins futiles.
Ainsi n'est pas favori du dieu qui veut; il faut être son courtisan assidu, et avoir par-dessus tout une physionomie sémillante et un certain je ne sais quoi du goût d'Apollon.
Adieu, mon cher; je n'ai pas le temps de vous dire d'autres pauvretés.