145. AU MÊME.

Camp de Kuttenberg, 5 juin 1742.

Federicus Jordano, salut. Vous serez sans doute à présent informé des heureuses suites de notre victoire. Les ennemis se sont retirés jusqu'à Budweis, où ils se sont joints avec le prince Lobkowitz. Vous voyez par là que le fait est incontestable, et que rien ne confirme si fort notre supériorité que la fuite de l'ennemi et une retraite de seize milles d'Allemagne.

La relation imprimée de Berlin, qui sans doute court à présent tous les cafés de l'Europe, est sortie de ma plume. J'ai détaillé toute l'action avec exactitude et avec vérité. L'histoire de l'inconnu est une fable en pure perte; un maître de poste y a donné lieu, qui, se trou<243>vant auprès des équipages, crut trouver plus de sûreté en combattant avec les autres qu'en demeurant seul auprès des équipages.243-a

Je plains le pauvre Césarion. Avouez-moi qu'il est bien fait, lui, pour se marier. Il me fait cependant beaucoup de compassion et par le corps, et par l'esprit. Rottembourg se rétablit tout à fait, et nous sommes ici assez tranquilles. Je lis beaucoup lorsque je n'ai pas d'ouvrages plus sérieux à faire; enfin ma tente ressemble infiniment plus à la demeure d'un philosophe que le tonneau ridicule de Diogène ou le bouge indécent de Leibniz.

J'ai reçu les vers que vous m'envoyez. L'Hercule travesti me paraît assez trivial; j'espère que la comédie que vous me promettez vaudra mieux.

Adieu, Jordan Tindalien,
Fidèle ami, bon citoyen,
Mais qui, par prudente sagesse,
Se ménage plus d'un moyen
Pour cacher sa grande faiblesse,
L'attachement pour son espèce,
Dans les antres poudreux du vieux pays latin.


243-a Frédéric attribue ici à un maître de poste le trait de courage du pasteur Seegebart à la bataille de Chotusitz.