<213> et j'ai voulu me présenter à vous sous cette qualité, parce que je crois qu'on ne doit rien avoir de caché pour ses amis.

Phihihu a été heureux de trouver grâce devant vos yeux; c'est ce qui m'enhardit à vous envoyer, madame, une Lettre assez singulière.a Je me défends de mes dents et de mes griffes, et, si cela paraît un peu trop véhément, je vous supplie de m'obtenir l'absolution de M. Cyprianusb ou de son successeur; tout pauvre pécheur en a besoin, et moi surtout, qui, entraîné par les mœurs débordées du siècle, succombe souvent aux tentations du vieux démon qui est sans cesse à rôder à la chasse des âmes.

Je n'ai point de lettres de Londres depuis le 18, que le vent a été contraire. A vous dire naturellement ce que je pense, je m'aperçois que les Anglais ne veulent pas la paix. Il fallait pourtant en faire la tentative pour le bien de l'humanité et pour n'avoir rien à se reprocher; et, confus de n'être pas de votre opinion, madame, au sujet des opérations de la Providence, je ne saurais me désabuser du préjugé dans lequel je suis que, à la guerre, Dieu est pour les gros escadrons. Jusqu'ici, ces gros escadrons se trouvent chez nos ennemis. J'ai habillé en poésie mes rêves métaphysiques sur ce sujet. J'ai tiré les plus considérables exemples que l'histoire nous fournit de hasards fortunés et malheureux, et, si ce n'est pas abuser de votre indulgence, je prendrai la liberté de vous envoyer un jour cette pièce.c

J'ai lu Hume, madame, et, pour vous en dire mon sentiment avec toute franchise, je vous avoue qu'il me semble qu'il court trop après les paradoxes, ce qui l'égare quelquefois, et le fait tomber en contradiction avec lui-même; il fouette la religion chrétienne sur les fesses


a Lettre de la marquise de Pompadour à la reine de Hongrie. Voyez t. XV, p. 89-93, et la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, du 14 mai 1760.

b Ernest-Salomon Cyprianus, docteur en théologie et vice-président du consistoire de Gotha, associé externe de l'Académie des sciences de Berlin, né en 1673, mort le 19 septembre 1745.

c Épître sur le hasard. Voyez t. XII, p. 64-79.