<233>J'ai ensuite examiné ici les affaires de Thuringe. Les états doivent, madame, de l'année 1760, quatre cent mille écus de contribution, et cent cinquante mille écus à un marchand qui s'est chargé de leurs livraisons. On a relâché quelques otages sur leur parole, qui, au lieu de se reproduire après les citations qui leur ont été faites, se sont éclipsés. Tant de duplicité et de mauvaise foi de la part de ces Saxons m'interdit toute voie de douceur, d'autant plus que l'objet qui est à leur charge est considérable, que nous sommes pauvres et ruinés, et qu'il faut chaque jour fournir aux dépenses, qui augmentent au lieu de diminuer. Je me rappelle cent fois cette lettre qu'on connaît de Henri IV, où il mande à un de ses amis de lui faire avoir de l'argent, parce que son pourpoint est déchiré, qu'il n'a plus ni selle ni cheval, et que ses serviteurs exigent de lui leur paye, qu'il ne sait comment leur fournir. On ne sent ces choses que lorsqu'on se trouve dans un cas pareil, et l'on se trouve presque réduit, comme saint Crépin, à voler le cuir pour donner des souliers aux pauvres. Voilà, madame, la source de bien des procédés et des mauvaises manœuvres où je suis réduit par les lois d'une nécessité impérieuse. Une suite de fatalités m'a mis dans cette situation fâcheuse et violente. Il n'est pas aisé de s'en tirer, quoique j'y travaille de tout mon pouvoir. Je sais, ma chère duchesse, que je ne risque rien en vous parlant avec cette franchise, car, dans la situation où je suis, il convient de ne faire remarquer aucun embarras, et même d'affecter d'avoir des ressources pour soutenir la gageure contre tout le monde.
Je vous demande mille pardons de vous avoir entretenue si longtemps sur des matières désagréables qui me touchent beaucoup, à la vérité, mais qui ne sont guère convenables quand on écrit à une princesse respectable à laquelle il y aurait cent autres choses à dire. Ma franchise déplacée, l'ennui que vous causera, madame, cette lettre, enfin ce qu'il y a de trop peu courtois dans ma conduite, tout