<249> prolongeassent leur séjour à Gotha, où ils étaient en si bonnes mains, qu'il n'y avait qu'à profiter pour eux.
J'espère, madame, que vos petits démêlés avec la cour de Meiningen ne tireront à aucune conséquence. Heureuses les querelles des princes qui se terminent en éclats de rire! Les nôtres n'ont coûté que trop de sang, et laisseront encore de longs regrets et des maux à réparer. J'espère que les préliminaires pourront être signés le 15, après quoi chacun pliera bagage et s'en retournera chez soi, où il aurait fait sensément de rester.
J'ai commencé, en attendant que cette paix se fasse, un ouvrage de Rousseau de Genève.a Le livre a pour titre Émile, et en vérité, madame, il me ramène bien à votre sentiment : toutes ces productions nouvelles ne valent pas grand' chose; c'est un rabâchage de choses qu'on sait depuis longtemps, décoré de quelques pensées hardies et écrites en style assez élégant. Mais rien d'original, peu de raisonnement solide, et beaucoup d'impudence de la part des auteurs; et cette hardiesse qui tient de l'effronterie indispose le lecteur, de façon que le livre lui devient insupportable, et qu'il le jette par dégoût. Si MM. les auteurs abusaient moins du bel art d'imprimer les pensées que nous possédons, s'ils voulaient bien songer que quiconque fait un mauvais livre, au lieu d'établir sa réputation, éternise sa folie, il ne paraîtrait d'ouvrages que d'un genre capable d'instruire ou de plaire au lecteur. En effet, pourquoi faut-il que le public perde son temps parce qu'un fou s'est avisé de se faire auteur et de débiter ses visions cornues? On dira peut-être : Mais qu'est-il besoin de le lire? On ne le lirait pas, si l'on savait ce qu'il contient, et l'on est la dupe du titre, et quelquefois d'un nom qui a fait un certain bruit. Les siècles d'ignorance souffraient par l'indigence des lettres; nous, au contraire, nous avons à nous plaindre de la prodigalité et de
a Voyez t. IX, p. 224 et 246. Voyez aussi les lettres de Frédéric à mylord Marischal, du 29 juillet et du 1er septembre 1762.