<283> étranger, mais comme le fils de ma respectable amie. J'ai été charmé de revoir quelqu'un qui vous touche de si près, après ma longue absence, et je vous assure, ma chère duchesse, que tout le monde a loué votre œuvre, et surtout la bonne éducation que vous lui avez donnée. Nous n'avons pas quitté Gotha dans nos entretiens; mais, comme il n'y a aucune joie sans quelque mélange d'amertume, le prince Auguste m'a affligé en m'apprenant la fluxion dont vous êtes incommodée. Pourquoi faut-il, ma chère duchesse, que vous souffriez des infirmités de l'humanité, vous qui êtes si fort au-dessus du reste des humains? Et pourquoi la nature ne respecte-t-elle pas un corps dont l'âme fait les délices de tout être qui pense, et dont la bonté rend tout un duché heureux? Voilà des réflexions qui me conduiraient trop loin, si je m'y abandonnais. Votre digne amie perd sa fille, et vous êtes affligée des yeux. Pour qui donc sont les récompenses, si vous souffrez des peines, et comment se fait-il que si souvent on voie dans le monde le crime triomphant et la vertu malheureuse? Ah! ma chère duchesse, cette machine sur laquelle le hasard nous a placés m'a bien la mine d'aller comme elle peut, sans que personne s'en embarrasse. Mais, pour Dieu, n'en parlez pas à M. Cyprianus, ou je suis perdu à tout jamais.

Le prince votre fils vous dira qu'il m'a trouvé ici en retraite. Je fais un extrait de tous les articles philosophiques de Bayle, dont on fera une édition in-octavo d'environ cinq ou six volumes;a elle sera achevée le printemps prochain, et, si vous me le permettez, je vous offrirai un exemplaire. Voilà mes amusements sur mes vieux jours. Mais je vous conte des fagots, et j'abuse peut-être d'un temps précieux que vous employez et mieux, et plus utilement. N'oubliez pas, ma chère duchesse, vos amis absents. Je prierai le prince Auguste de vous faire quelquefois ressouvenir de moi, car rien ne me serait plus insupportable que d'être effacé de votre souvenir. Si l'admiration, si


a Voyez t. VII, p. v et vI.