<6>La marquise vient de m'envoyer une traduction italienne de la Henriade par un certain Cabiriano.a Elle paraît très-fidèle; ainsi ce poëme, excellent par lui-même, va bientôt passer en toutes les langues, et servir de modèle au poëme épique de toutes les nations. Il le mériterait assurément, car c'est le plus sage et le mieux construit que nous ayons. Je compte d'achever dans trois semaines mon Prince de Machiavel. Si vous vous trouvez encore vers ce temps à Londres, je vous prierai de prendre sur vous le soin de cette impression. J'ai fait ce que j'ai pu pour inspirer de l'horreur au genre humain pour la fausse sagesse de ce politique; j'ai mis au jour les contradictions grossières dans lesquelles il est avec lui-même, et j'ai tâché d'égayer la matière aux endroits que cela m'a paru convenable. On instruit toujours mal lorsqu'on ennuie, et le grand art est de ne point faire bâiller le lecteur. Il ne fallait pas la force d'Hercule pour dompter le monstre de Machiavel, ni l'éloquence de Bossuet pour prouver à des êtres pensants que l'ambition démesurée, la trahison, la perfidie et le meurtre étaient des vices contraires au bien des hommes, et que la véritable politique des rois et de tout honnête homme est d'être bon et juste. Si j'avais cru que ce dessein surpassât mes forces, je ne l'aurais point entrepris.
Je n'aurais point d'un vain honneur
Cherché le frivole avantage,
Car je mesure à ma vigueur
Tous mes efforts et mon courage.
Le Turc, dit-on, en son sérail
A cent beautés pour son usage;
Mais chaque jour un pucelage
Mérite un vigoureux travail.
Qu'il fasse donc, s'il veut, sa ronde,
Qu'Atlas lui seul porte le monde,
a Le vrai nom de la personne désignée par ce pseudonyme était Ortolani. Voyez t. XVII, p. 34 et 35.