<62> bontés dont il lui a plu jusqu'à présent de m'honorer. J'ai été, Sire, interdit en lisant sa lettre, et j'ai d'abord eu recours à la minute de celle que j'ai eu l'honneur de lui écrire en dernier lieu, pour me condamner tout le premier, au cas que j'eusse manqué au profond respect qui est dû et que je rends à V. M. avec ce plaisir que l'on sent en faisant les choses auxquelles on est plus porté par inclination qu'obligé par devoir. Après avoir relu cette lettre quatre ou cinq fois avec toute l'attention et la critique imaginable, j'ai cru m'apercevoir, Sire, que l'expression « tandis que V. M. paraît me supposer bien attaché à sa religion, » si V. M. l'a prise dans le sens que cette religion se rapporte à elle-même, et non au dieu Plutus, dont il est parlé la ligne d'auparavant, c'est ce qui a dû choquer V. M. Mais je lui proteste sur mon honneur que moi, je l'ai rapportée au dieu Plutus, par une espèce d'italianisme, peut-être, qui m'a fait dire en français la religion de Plutus, comme on dit en italien la religione degli dei, et en latin religio deorum. J'avoue, Sire, que la rigoureuse grammaire, selon laquelle V. M. a pris mon expression, me condamne; mais l'équité, selon laquelle je la prie de juger de moi-même, doit m'absoudre; car il faudrait que je fusse le plus fou et le plus étourdi de tous les hommes pour aller, de propos délibéré, écrire des choses peu mesurées à V. M., et il faudrait que j'eusse bien d'autres folies remarquables dans le monde pour en venir à une aussi considérable et aussi dangereuse que celle-là. C'est bien à moi, Sire, dans ce cas-ci, à dire avec Lucrèce :
Tantum religio potuit suadere malorum.aD'ailleurs, Sire, tout homme qui est étranger à la France ne parle pas et n'écrit pas le français comme fait V. M. Par rapport à moi, j'ai écrit mes Dialogues sur la lumière, mon César, et beaucoup d'autres bagatelles, en italien, sachant ne pas connaître assez la correction et
a De la nature des choses, liv. I, v. 102.