13. AU MÊME.
Remusberg, 2 novembre 1740.
Mon cher Algarotti, dans ce temps de crise je n'ai guère eu le temps de vous écrire. Les grandes nouvelles qui, depuis huit jours, se succèdent si promptement donnent de l'occupation à la politique, et les affaires commencent à prendre un train si sérieux, qu'il ne suffit pas d'une prudence ordinaire pour se conduire, et que, pour bien faire, il faudrait percer dans l'avenir, et lire dans le livre des destins les conjonctures et les combinaisons des temps futurs.
La première de vos lettres n'est pas l'hymne d'un cygne mourant, mais c'est le chant d'une sirène, qui, étant trop flatteur, séduirait<24> très-facilement quiconque voudrait se croire tout ce qu'une imagination italienne est capable de créer. La seconde est à peu près telle qu'Antoine l'eût écrite à César, dans les temps que ce dernier faisait la conquête de l'Angleterre.
Je suis persuadé que c'est pour vous le plus grand plaisir du monde d'être à la veille des plus grands événements de l'Europe, et de voir débrouiller une fusée qui assurément ne sera ni facile ni prompte à mettre en ordre. Les tableaux de nos temps vous fourniront des crayons de ce qu'étaient ces grandes révolutions du temps de la république romaine, et vous donneront peut-être encore plus de force pour les décrire, comme de certains peintres, qui se proposent le sujet de Troie en flammes, sont bien aises de voir des embrasements pour en avoir l'imagination plus frappée.
Expliquez-vous un peu plus clairement sur votre sujet, je vous prie, afin que je puisse vous satisfaire selon votre façon de penser. Quant au titre, ce sera pour cet hiver, à Berlin; quant au reste, je voudrais un langage un peu moins énigmatique.
Adieu, cher cygne; je vous souhaite le retour de votre santé et de vos forces, en vous assurant de mon amitié et de mon estime.
Federic.