115. DU COMTE ALGAROTTI.
Bologne, 10 février 1758.
Sire,
Je laisse juger à Votre Majesté combien je dois me sentir honoré des réponses qu'elle a bien voulu faire à mes lettres, dans un temps où elle roule dans son esprit la destinée de l'Europe. Ce serait grand dommage, Sire, que V. M. ne fût que le sage contemplatif de Lucrèce, et qu'elle fût assise au parterre. V. M. joue trop bien pour n'être pas acteur. J'ai vu dernièrement passer par ici les troupes de Toscane qui marchent en trois colonnes contre V. M. Mais je crois qu'un chapiteau d'ordre prussien renversera aisément toutes ces colonnes d'ordre toscan.
S'il est permis, Sire, après vos hauts faits, d'admirer vos bons mots, V. M. nous en donne ample matière. Quand elle répondit à quelqu'un qui lui parlait de ses deux cinq, « Je n'ai eu qu'un peu de sang-froid et beaucoup de bonheur, » il me semble d'entendre New<129>ton qui répond à quelqu'un qui admirait son puissant génie : « Je n'ai fait que ce qu'aurait fait tout autre by a patient way of thinking. »
Mais la toile va être levée, et nous allons de nouveau battre des mains au triomphateur.
Eheu, quantus equis, quantus adest viris
Sudor! quanta moves funera Austriacae
Genti! jam galeam Federicus et aegida
Currusque et rabiem parat.129-a
Je suis avec le plus profond respect, etc.
P. S. J'espère que V. M. aura reçu les boutargues qui sont élevées à assaisonner sa table militaire.
129-a Voyez Horace, Odes, liv. I, ode 15, v. 9-12.