11. A LA MÊME.
Freyberg, 16 février 1760.
Madame,
C'est à mon grand regret que j'importune Votre Altesse si souvent par mes lettres. Vos bontés, madame, m'ont gâté; cela vous apprendra à les ménager davantage avec d'autres. Je vous regarde comme une amie respectable, à l'amitié de laquelle j'ai recours dans le besoin. Il est toujours question de la paix, madame; et si l'objet de mes importunités n'était aussi beau, madame, je serais inexcusable vis-à-vis de vous. Cocceji,199-a que j'ai envoyé avec cette lettre à votre cour, doit vous prier de vouloir bien suppéditer et me prêter un sujet quelconque, homme prudent et avisé, qui fit le voyage de France pour donner une lettre au bailli de Froulay,199-b très-honnête homme que je connais, qui pourrait insinuer à sa cour les propositions de paix ci-jointes. Pour vous expliquer en deux mots le joint de la chose, vous saurez, madame, que, après la proposition du congrès qui a été faite à nos ennemis, on a été informé de bonne part que l'Impératrice-Reine et l'impératrice des barbares n'avaient point voulu y donner les mains; au contraire, qu'elles travaillaient, à Paris, à dissuader le roi de France des sentiments pacifiques dont on l'accuse. Vous verrez, par les propositions qu'on lui fait, qu'on lui fournit le moyen de se séparer de ses alliés et de donner malgré eux la paix à l'Europe. C'est pour sonder les esprits et pour savoir, en un mot, à quoi s'en tenir. Si ces propositions agréent en France, les préliminaires s'ensuivront bientôt; sinon, nous saurons au moins à quoi nous en tenir, car vous savez, madame, que l'incertitude est le plus cruel tourment de l'âme. Vous verrez, par tout ceci, de quoi il s'agit; et comme je ne fais<200> aucun pas qu'après en être convenu avec le ministère anglais, je me flatte que cette démarche, si vous daignez l'agréer, pourra nous mener à une fin heureuse et désirable pour l'Allemagne surtout, et pour toute l'Europe également. Ce sera augmenter prodigieusement les obligations et par conséquent la reconnaissance que je vous dois; mais rien n'ajoutera aux sentiments de la parfaite estime et de l'attachement avec lequel je suis,
Madame,
Votre très-affectionné cousin et serviteur,
Federic.
Comme vous concevez l'importance qu'il y a pour nous tous de cacher cette démarche à la cour de Vienne, je ne doute nullement, madame, que vous la leur déguiserez au possible.
200-aPROPOSITIONS DE PAIX.
Il faudra principalement faire sentir à la France que, si elle veut entrer dans les vues de la Grande-Bretagne par rapport à une paix séparée à conclure entre elle, l'Angleterre et les alliés de cette dernière en Allemagne, et faire cause commune ensuite pour forcer les autres puissances d'y accéder, il serait en son pouvoir de terminer la guerre très-promptement, de conserver l'équilibre de l'Allemagne et même de l'Europe entière, et d'obtenir des conditions beaucoup plus favorables qu'elle ne saurait en espérer de toute autre manière.
199-a Le baron Cocceji, capitaine et aide de camp du Roi.
199-b Voyez t. V, p. 43 et 44.
200-a De la main d'un secrétaire.