<144> sous le chapeau à clabaud presbytérien. Le malheur est que cette guerre ne se décidera pas à coups de plume, mais à coups d'épée. S'il ne s'y agissait que d'écrire, dans peu nous coulerions à fond Autrichiens, Russes, cercles et Suédois. J'ai fait une brochure,a pour m'amuser, où je compare nos gens au triumvirat d'Octave, Lépide et Antoine. Vous jugez bien que les proscriptions n'y sont pas oubliées, non plus que la fin de l'histoire, où le plus fin engloutit les autres. Mais qu'est-ce que toutes ces misérables ressources, après les malheurs réels qui nous sont arrivés? C'est la Brinvilliersb qui, la veille de son exécution, joue encore aux cartes. La comparaison est noire, et très-noire, je l'avoue; quant aux situations, il y a pourtant quelque chose d'approchant, vous n'en disconviendrez pas. Je mène ici la vie d'un bénédictin. Dès que mes affaires sont expédiées, ce qui est pour moi dire la messe, je m'ensevelis avec mes livres; je dîne et me couche avec eux. Cicéron avait bien raison de dire que les lettres font l'ornement et la douceur de la vie dans tous les états et tous les âges.c C'est une ressource dont j'éprouve à présent toute la puissance; elle m'aide à supporter mon malheur présent et à me distraire des songes de l'avenir. Dites-moi, je vous prie, si vous trouvez que mes vers se ressentent de l'étude que j'ai faite de Racine. Je voudrais le savoir par curiosité, car je me le persuade peut-être sans raison. Je ne vous demande point de louanges, mais le témoignage de votre conscience. Adieu, mon cher marquis. Écrivez-moi toutes les balivernes que vous apprendrez; je suis comme Malebranche, je voudrais même que des hochets pussent m'amuser.d Soyez persuadé de l'amitié et de l'estime de votre vieil ami.
a Lettre d'un Suisse à un Génois. Voyez t. XV, p. 153-158.
b Voyez t. XIV, p. 196
c Voyez t. XVII, p. 308.
d Voyez t. XIII, p. 96.