122. AU MARQUIS D'ARGENS.
(Freyberg) ce 13 (avril 1760).
Je vous suis obligé, mon cher marquis, de mon livre, que vous m'avez envoyé; mais je ne suis pas du tout content du petit Beausobre, car il n'y a aucune correction dans l'édition, et les fautes les plus absurdes, que le petit Beausobre ne s'est pas donné la peine d'examiner. Il faut au moins faire un errata. C'est affreux qu'il n'y ait pas un homme à Berlin qui ait le bon sens et la patience de revoir ces fautes. Je suis si occupé ici, que je n'ai guère le temps de penser à l'errata, qu'il faudra pourtant faire. Quant aux tableaux de Gotzkowsky, je ne sais si je les verrai de ma vie. C'était une folle envie qui m'avait pris de vous demander après ces précieuses bagatelles; mais voici les convulsions de l'inquiétude qui commencent à devenir si violentes, que la pensée des tableaux n'aura de longtemps aucune place dans mon esprit, et je vous quitte volontiers du voyage de Sans-Souci. Ce serait pour vous une grande fatigue, et rien de plus.
Ne pariez pas des estampes, à moins d'avoir envie de les perdre. Il y a deux cabales à Versailles; l'une veut la paix, mais Choiseul, Lorrain et créature autrichienne, veut la guerre. A présent, il a trouvé le moyen de prévaloir sur les autres, et vous pouvez compter que les apparences de la paix sont plus éloignées que jamais. Vous pouvez facilement vous représenter ce qui se passe dans mon esprit à l'approche du moment de ma chute. Je m'oppose à mon infortune avec courage, mais je suis persuadé que j'y succomberai. Toutes ces funestes idées me rendent sombre, de mauvaise humeur et triste. Adieu, mon cher marquis; ne m'oubliez pas, écrivez-moi quelquefois, et soyez persuadé de mon amitié.