<178> de ces brigands d'empereurs, de rois, et de ces coquines d'impératrices. Je suis un philosophe déplacé. J'aurais été propre pour vivre en sage. Un démon envieux de mon repos m'a traduit et transporté sur la grande scène des vicissitudes. Je suis obligé malgré moi de me mêler de ces grandes affaires et de m'écarter des préceptes de notre saint Épicure, qui conseille à son sage de ne se point mêler du gouvernement. Il ne savait ou ne pensait pas que quelconque de ses disciples, né d'un sperme royal, ne pouvait être libre dans son choix, que les conjonctures et la nécessité sont plus fortes que la volonté des hommes, et que chacun est entraîné par le torrent des causes secondes, qui l'obligent de remplir la tâche qu'elles lui donnent.
Vous êtes le plus paresseux des hommes. Je vous écris tantôt en prose, tantôt en vers, et, malgré toutes mes peines, je ne puis que de loin à loin tirer de vous quelque réponse. Écrivez-moi plus souvent des balivernes et tout ce qu'il vous plaira. Il me faut de vos lettres. Je les reçois avec plaisir, je les lis de même, et cela vous coûte si peu, que vous pouvez bien me donner cette satisfaction-là. J'ai aujourd'hui un jour couleur de rose; cela m'arrive rarement d'en avoir de pareils. Vous avez reçu de moi nombre de lettres qui étaient écrites des jours très-noirs. Adieu, mon cher marquis; je vous embrasse, et vous souhaite vie et contentement.
126. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 4 mai 1760.
Sire,
La lettre que Votre Majesté m'a fait la grâce de m'écrire a produit dans mon cœur la plus sensible joie, et j'attends ce moment heureux