<231> Nous avons sauve notre réputation par la journée du 3. Cependant ne croyez pas que nos ennemis soient assez abattus pour être contraints à faire la paix. Les affaires du prince Ferdinand sont en mauvais train; je crains que les Français ne conservent cet hiver les avantages qu'ils ont gagnés sur lui cette campagne. Enfin je vois noir comme si j'étais dans le fond d'un tombeau. Ayez quelque compassion de la situation où je suis; concevez que je ne vous déguise rien, et que cependant je ne vous détaille pas tous mes embarras, mes appréhensions et mes peines. Adieu, cher marquis; écrivez-moi quelquefois, et n'oubliez pas un pauvre diable qui maudit dix fois par jour sa fatale existence, et qui voudrait déjà être dans ces lieux dont personne ne revient pour en dire des nouvelles.
155. AU MÊME.
Unckersdorf, 16 novembre 1760.
Je vois, mon cher marquis, qu'on me fait parler et écrire lorsque j'y ai le moins pensé. Je n'ai point écrit à Seydlitz depuis le jour de la bataille; ces nouvelles de la suite de nos prétendus succès ont assurément été envoyées par quelque particulier que j'ignore. Nous avons fait des prisonniers; mais leur nombre n'approche que de huit mille hommes, et non de douze mille. Nous n'aurons point Dresde; nous passerons un hiver désagréable et fâcheux, et, l'année qui vient, ce sera à recommencer. Voilà des vérités que je vous marque; elles sont désagréables; cependant vous pouvez y ajouter plus de foi qu'aux bruits populaires que l'on répand, soit pour les faire parvenir à nos ennemis et pour les intimider, soit pour ranimer une étincelle d'espé-