167. AU MARQUIS D'ARGENS.
(Meissen) avril 1761.
J'aimerais mieux vous parler de paix, mon cher marquis, que de nos préparatifs de campagne; cependant, pour ne vous point abuser, je vous apprécie les choses à leur juste valeur. Trop d'indices et trop d'anecdotes me persuadent que la reine de Hongrie ne veut point la paix. On vient de rompre de nouveau le cartel, malgré les engagements solennels qu'on avait pris avec nous pour l'exécuter. Un trait aussi fort que celui-là, un manque de foi aussi évident, marque bien que la reine de Hongrie, résolue à tenter le hasard de cette campagne, juge qu'il est de son intérêt de me priver de mes troupes prisonnières le plus longtemps qu'elle pourra. Ce n'est pas sur ce trait seul que je porte mon jugement; il en est bien d'autres qui s'accordent à me découvrir ce mystère d'iniquité. Laissez donc au peuple la flatteuse espérance d'une prompte paix, et, sans vous y laisser entraîner, ne le détrompez pas. Je m'attends à peu près aux mêmes événements qui nous arrivèrent l'année passée, sans savoir si nous aurons le même bonheur. Un instant fatal peut renverser l'édifice que nous avons soutenu jusqu'ici, tant bien que mal, par des travaux immenses. Il en arrivera ce qu'il plaira au ciel. J'entre dans cette campagne comme un homme se précipite dans les flots, la tête la première. Vouloir tout prévoir, c'est le moyen de devenir hypocondre; ne penser à rien, c'est se mettre par sa faute dans le cas d'être pris au dépourvu. Je me dis à moi-même que tout le mal que l'on craint et tout le bien que l'on espère n'arrivent jamais au pied de la lettre; il faut beaucoup rabattre de l'un et de l'autre. D'ailleurs, avec le nombre d'ennemis que j'ai, il ne me reste qu'à faire la guerre à l'œil, à agir du jour à la journée. En voilà assez pour la politique militaire.
Je passe à présent au sujet de votre lettre, où vous me parlez de