<361> mieux ne point écrire que de dire des paradoxes et des pauvretés. Biaise Pascal, Newton et cet homme-ci, tous trois les plus grands géomètres de l'Europe, ont dit force sottises, l'un dans ses apophthegmes moraux, l'autre dans son Commentaire sur l'Apocalypse, et celui-ci sur la poésie et l'histoire. La géométrie pourrait donc bien ne pas rendre l'esprit aussi juste qu'on le lui attribue. Le préjugé favorable à la géométrie en avait fait un axiome; ce n'est pas même un problème après les trois grands géomètres que je viens de citer, et qui ont tous trois si pitoyablement raisonné. Tenons-nous-en, mon cher marquis, aux arts d'agrément. La perfection n'est point faite pour nous; on a quelque indulgence pour les écarts d'un poëte, on les met sur le compte de son imagination; mais on ne pardonne rien au géomètre, il doit être exact et vrai. Pour moi, qui sens qu'on ne saurait l'être toujours, je m'attache plus fortement que jamais aux agréments de la poésie et à toutes les parties des études qui peuvent orner et éclairer l'esprit; ce seront les hochets de ma vieillesse, avec lesquels je m'amuserai jusqu'à ce que ma lampe s'éteigne. Ces études, mon cher marquis, adoucissent l'esprit, et font que l'âpreté de la vengeance, la dureté des punitions, et enfin tout ce que le gouvernement souverain a de sévère, se tempère par un mélange de philosophie et d'indulgence, nécessaire quand on gouverne des hommes qui ne sont pas parfaits, et qu'on ne l'est pas soi-même.
Enfin, mon cher marquis, soit âge, soit réflexion, soit raison, je regarde tous les événements de la vie humaine avec beaucoup plus d'indifférence qu'autrefois. Quand il y a des choses qu'il faut faire pour le bien de l'État, j'y mets encore quelque vigueur; mais, entre nous soit dit, ce n'est plus ce feu impétueux de ma jeunesse, ni cet enthousiasme qui me possédait autrefois. Il est temps que la guerre finisse, car mes homélies baissent,a et bientôt mes auditeurs se mo-
a Allusion aux homélies de l'archevêque de Grenade, dans l'Histoire de Gil Blas de Santillane, par Le Sage, livre VII, chap. 4.