<378> averti l'Empereur de prendre ses mesures. Mais sa sécurité a été trop grande; il se fâchait quand on lui parlait de précautions, et j'ai encore la lettre qu'il m'a écrite en réponse aux avis que je lui avais donnés. Son malheur vient de ce qu'il a voulu prendre certains biens au clergé; les prêtres ont tramé la révolution, qui s'est exécutée tout de suite. Ce prince, possédant toutes les qualités du cœur qu'on peut désirer, n'avait pas autant de prudence, et il en faut beaucoup pour gouverner cette nation. On m'annonce aujourd'hui qu'il est mort de la colique.
Vous avez, mon cher marquis, tout lieu d'être tranquille pour Berlin, non pour nous, car nous avons une besogne également difficile et hasardeuse à entreprendre; mais ni plus ni moins il faut en passer par là. Demandez pour nous l'assistance de la fortune; tout se fait avec son secours, et rien sans elle. Je suis bien de votre avis sur ce que vous dites de la vanité des choses humaines et de la méchanceté des hommes; je ne vous ai dit autre chose. C'est ce qui me dégoûte du monde, et qui me fait désirer la fin de cette funeste guerre pour pouvoir achever quelque part ma vie en paix. Vous voyez l'instabilité des projets des hommes. La révolution de Russie vous a frappé plus vivement que d'autres événements dont j'ai été témoin; mais comptez que, durant ces sept campagnes que je fais, je n'ai vu autre chose que des espérances renversées, des malheurs inopinés, enfin tout ce que la bizarrerie des jeux et des caprices du hasard a pu produire. Après cette expérience, mon cher marquis, il est permis, quand on a cinquante ans, de ne vouloir plus servir de jouet à la fortune, de renoncer à l'ambition, à toutes les folies qui ne font que trop d'illusion à une jeunesse sans expérience, et aux préjugés que le grand monde nourrit et perpétue. Adieu, mon cher marquis; je vous embrasse.