<406>Je n'ai point, en naissant, eu des bienfaits du ciel
Un génie étendu, sublime, universel;
C'est pourquoi prudemment je me borne et resserre
Dans les confins marqués de mon étroite sphère.
Vous, formé, né, mûri sous le ciel provençal,
Loin des sombres frimas d'un climat glacial,
Doué d'un esprit vaste, ingénieux, facile,
Vous nous supposez tous pétris de même argile,
Et croyez comme vous que nous nous élevons
D'un vol audacieux aux hautes régions.
Non, marquis, les esprits n'ont pas la même trempe;
Si l'un peut s'élever, le plus grand nombre rampe;
Pour un Jules César quel nombre de Varus!
Et contre un seul Virgile il est cent Mévius.
Des dons les plus exquis la nature est avare,
Le médiocre abonde et l'excellent est rare.
Conservez les beaux dons qui vous sont départis.
Grand nombre de mortels, sous les sens abrutis,
Végètent beaucoup plus qu'ils ne pensent et vivent,
Et sans réflexions leurs jours vides se suivent;
L'image qu'imprima sur eux le Créateur
Du temps qui ronge tout sent le bras destructeur.
Supportez leurs défauts, en plaignant leurs misères,
Encor qu'abâtardis, songez qu'ils sont vos frères;
N'exigez jamais d'eux des progrès violents
Qui passent à la fois leur force et leurs talents;
Ne les mesurez point selon votre opulence,
Rapprochez-les plutôt de vous par indulgence.
Ainsi, si vous daignez m'accorder quelque temps,
Malgré tous les travaux aussi durs qu'importants
Qui demandent mes soins et ceux de mon armée,
Je vous promets dans peu d'avoir lu le Timée.
Ces vers se ressentent, mon cher marquis, du temps où ils sont produits. J'ai des soucis politiques, des inquiétudes militaires, des tracasseries de finances, enfin une multitude d'occupations désagréables qui m'obsèdent. Mes vers vaudraient peut-être un peu mieux, s'ils