289. AU MARQUIS D'ARGENS.
Dahlen, 10 mars 1763.
Tandis, mon cher marquis, que vous voyez des hérauts, et que vous entendez crier des ha! ha! à une populace attroupée, je mène ici une vie philosophique qui m'accommode fort. J'ai l'embarras de transporter des troupes, un peu plus considérable que celui de vos richesses. Mais, comme tout est en train à présent, je jouis d'un peu plus de tranquillité qu'à Leipzig.
N'allez donc pas, je vous prie, sortir à cheval à ma rencontre. Il peut vous arriver quelque malheur dans la presse, ce qui me ferait une peine infinie. Je suis très-sûr que mon retour vous fera plaisir; et pourquoi des démonstrations qui pourraient vous causer des embarras et du malheur? D'ailleurs, je ne puis arriver qu'entre sept et huit heures du soir à Berlin. Que feriez-vous en plein air? Que de rhumatismes, que de maux vous vous attireriez! Non, mon cher marquis, attendez-moi dans ma chambre; je pourrai vous voir et vous parler, ce qui sera un plaisir plus sage et plus fait pour nous deux que cette cavalcade hasardeuse, et qui me ferait trembler. C'est bien malgré moi que je réforme tant de troupes; mais la situation où me met la paix ne me permet pas d'entretenir au delà de cent trente-huit mille hommes, et j'en aurai eu cent quatre-vingt-huit mille en campagne. Cette année, tout le militaire, les garnisons y comprises, montait à deux cent dix-neuf mille hommes. Cependant tout cela rentre dans le pays, et il n'y aura que quelques déserteurs de perdus. Je congédie les nationaux, et je conserve tous les étrangers. On parle de même à Vienne de réformes; on en fait déjà une partie, le reste s'apprendra dans peu. Je ne crois pas que l'on congédiera la cousine si vite. S'il se fait des revirements de systèmes, cela n'aura lieu, au plus tôt, que dans un an d'ici. Pour moi, je ne me presserai pas, car,