<457> insupportables au peuple par leur fierté. Je n'ai jamais mieux compris combien il est nécessaire qu'un roi soit maître absolu que depuis que je suis en France; tous les prétendus états mitoyens entre le peuple et le Roi ne sont que de petits tyrans, qui manquent également à leur maître et à leurs concitoyens. L'on a beau dire que, sous un mauvais roi, des personnes qui balancent son pouvoir sont très-utiles; je réponds à cela que je ne doute pas que le peuple n'ait été infiniment plus heureux et plus tranquille en France sous Louis XI qu'en Angleterre sous le règne de la maison de Stuart, dont la puissance était si balancée. V. M. sera étonnée de voir que je suis devenu si antiparlementaire; c'est que j'ai appris pendant vingt-cinq ans, à Berlin, le bien qui résulte de n'avoir qu'un maître qui sait se faire obéir, et que je n'ai jamais mieux connu ce bien que depuis que j'ai vu tout ce qui se passe en France.
Depuis que je suis ici, j'ai voulu connaître les raisons, les causes de bien des choses, et je suis venu à bout de ce que je souhaitais. En vérité, Sire, ce serait dommage que je fusse mort à Avignon, car j'ai bien fait une bonne provision pour les soupers philosophiques de Sans-Souci; j'ai, en vieillissant, ramassé de quoi suppléer à la perte de l'imagination et au dépérissement de l'esprit, et j'ai meublé ma mémoire de trente contes, pour dédommager mon âme de la pesanteur dont elle devient tous les jours et du peu de vivacité qui lui reste. Un autre que moi regretterait d'avoir perdu ce peu d'imagination dont la nature l'avait doué, et craindrait de paraître comme dépouillé de ce qui a pu le faire goûter dans le monde; mais je sais que V. M. ne fera point sécher un figuier parce qu'il ne porte plus que des feuilles dans une saison où il ne peut avoir des fruits. Voilà, Sire, ce qui me rassure. J'ai l'honneur, etc.