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312. AU MARQUIS D'ARGENS.

Février 1768.

Sans savoir où vous êtes, marquis, soit en Laponie, soit en Sibérie, soit à Menton,a soit sur les ruines de Carthage, je vous adresse ma lettre à tout hasard. Vous vous plaignez que je n'aie pas assez étendu l'énumération de vos maux, et j'ai cru avoir renfermé toutes les misères humaines dans mes vers. Pour les maux de dents, ils sont compris sous le genre des fluxions, et je ne me suis tenu qu'aux genres, sans entrer dans le détail des espèces, ce qui ne finit jamais. Si cependant je vous eusse envoyé, au lieu de vers, un dictionnaire de maladies, je n'en serais pas plus avancé; car vous, l'homme le plus ingénieux et d'une imagination ardente, vous auriez, pour me confondre, inventé une nouvelle maladie que vous vous seriez donnée de plaisir, et votre fécondité eût toujours triomphé de ma sécheresse. Non, je ne lutte pas contre vous; un malade expérimenté comme vous a des ressources trop abondantes pour confondre un novice à imagination tudesque, c'est-à-dire, sèche et stérile. Je souhaite donc que vos maux se succèdent sans interruption, pour que vous savouriez à longs traits la félicité d'être malade, que tous les quinze jours vous fassiez trembler une fois vos amis pour votre vie, et que vous ne mouriez cependant jamais. Je me flatte que ce petit compliment sera reçu avec un accueil bénévole, et que vous soyez convaincu à quel point mon style s'étudie à vous complaire. Je ne saurais le tourner mieux, et en vérité, marquis, vous serez obligé de convenir que j'ai le ton de votre quartier, sans cependant l'avoir fréquenté. Il y a deux grands mois que je vous ai perdu de vue, et, en suivant un calcul de probabilité, je pourrais soutenir et prouver que vous n'êtes plus au monde. Que vos mânes donc conservent leur ancienne pro-


a Dans la principauté de Monaco.