<60> m'empêche de mettre tout à perfection. Je me vois réduit à mener la vie d'un chevalier errant; je cours le pays, et sur tous les grands chemins je trouve de nouveaux ennemis à combattre. Je n'entre dans aucuns détails; mais, si vous apprenez la nouvelle d'une autre bataille, que cela ne vous étonne pas. Enfin nous nous accoutumons aux batailles, et cela devient notre pain quotidien. Je souhaite fort la fin de tout ceci, mais je la voudrais bonne; tant que cela n'en viendra pas là, il faudra ferrailler. Adieu, mon cher. Ma situation et le genre de vie que je suis obligé de mener ne favorisent pas les Muses. Je dirai comme Lucrèce : Puissante Vénus, vous qui tenez entre vos bras le cruel dieu de la guerre, qui, épris de vos charmes, penche sur votre sein sa tête redoutable, daignez le fléchir; que les horreurs de la guerre, qui désolent la terre, fassent enfin place aux douceurs de la paix;a que le peuple prussien respire après tant d'alarmes et de calamités; que d'Argens puisse tranquillement retourner à Berlin et goûter avec moi, dans les bras de la philosophie, d'un repos dont les Muses ont besoin pour cueillir encore quelques feuilles de laurier, qu'Apollon donne à ses nourrissons. Voilà, mon cher, la formule de ma prière. Joignez vos vœux aux miens pour qu'elle soit exaucée, et ne mettez aucun doute dans l'amitié que j'ai pour vous. Vale.
47. AU MÊME.
Breslau, 22 (décembre 1758).
Je vous connaissais de trop longue main pour n'avoir pas prévu, mon cher marquis, que, une fois à Hambourg, vous n'en sortiriez
a Lucrèce, De la nature des choses, livre I, v. 30-41.