<61> pas de sitôt, et, sans être prophète, je prédirai bien que vous y serez encore l'été prochain, à moins que la paix et la belle saison ne vous permettent de revenir par eau à Berlin. Je vous rends grâce des compliments que vous me faites sur la campagne; quoique j'aie eu, ainsi que les troupes, des fatigues énormes, nous n'avons guère mérité d'éloges. Cela s'est passé tellement quellement, et c'est remettre les choses en décision, qui ne se sont pas déterminées encore. Je suis fort las de cette vie; le Juif errant l'a été moins que moi. J'ai perdu tout ce que j'ai aimé et respecté dans le monde; je me vois entouré de malheureux que les calamités des temps m'empêchent d'assister. J'ai encore l'imagination frappée des ruines de nos plus belles provinces, et des horreurs qu'une horde plutôt de brutes que d'hommes y a exercées. Presque réduit, sur mes vieux jours, à être roi de théâtre, vous m'avouerez qu'une pareille situation n'a pas des charmes assez attrayants pour attacher à la vie l'âme d'un philosophe. Je suis chargé d'affaires et d'ennuis, et menant la vie d'un anachorète. Mangez des huîtres et des pouparts à Hambourg, videz les pharmacies de pilules, usez tous les lavements des apothicaires, renfermez-vous hermétiquement dans votre chambre, et, jouissant de cette béatitude comme les âmes bienheureuses en paradis, n'oubliez pas un pauvre damné maudit de Dieu, condamné à guerroyer jusqu'à la fin des siècles et à succomber sous le travail qui l'accable. Adieu.
48. DU MARQUIS D'ARGENS.
Hambourg, 22 février 1739.
Sire,
Après avoir rendu à Votre Majesté un million de grâces de la bonté qu'elle a eue de permettre que je pusse rétablir ma santé et prendre