17. DU MARQUIS D'ARGENS.
Liége, 1er juillet 1747.
Sire,
J'ai retardé de deux ou trois jours d'écrire à Votre Majesté, pour pouvoir lui faire un détail circonstancié de tout ce qui m'est arrivé jusqu'au moment que je suis parti de l'armée pour aller à Liége reprendre ma compagne de voyage14-d et continuer ma route pour Paris, en passant par Bruxelles.
Ne recevant pas mes passe-ports à Wésel, après les avoir attendus<15> cinq jours, je partis pour Aix-la-Chapelle, où à peine je fus arrivé, que je les reçus par une estafette que m'envoya M. le maréchal de Dossow.
D'Aix-la-Chapelle je me rendis à Liége avec une escorte de dix hommes que me donnèrent les Autrichiens, et qui vint de leur camp me prendre à Aix. En arrivant à Liége, j'y laissai Marianne, et je vins avec une escorte jusqu'au camp. Je m'adressai, le même jour, à M. de Puysieulx, ministre des affaires étrangères, qui me fit beaucoup de politesses, et qui m'en a toujours fait pendant mon séjour à l'armée. Il me présenta le lendemain au Roi, qui me reçut très-gracieusement. Il se mit à rire en me voyant, et dit à M. de Puysieulx assez haut : « Voyez donc comme il ressemble à son frère. » Il me demanda ensuite des nouvelles de la santé de V. M., quand j'étais parti de Berlin, etc.
Le jour que je fus présenté au Roi, je dînai chez le maréchal de Saxe, le lendemain chez le duc de Richelieu, le surlendemain chez M. d'Argenson, ministre de la guerre, et hier chez M. de Puysieulx. Aujourd'hui, sixième jour de mon arrivée, je suis parti de l'armée, et c'est de Liége que j'ai l'honneur d'écrire à V. M. Le Roi m'a fait donner un passe-port, qu'il a signé de sa main, et j'ai un ordre du ministre pour prendre des escortes jusqu'à Bruxelles. On m'a promis toute la justice possible pour mes affaires; enfin tout va fort bien, excepté le présent, que je n'aurai qu'après que M. de Puysieulx aura parlé à M. de Chambrier;15-a encore faut-il pour cela que V. M. apprenne à ce dernier quelle est sa volonté à ce sujet. Voici l'explication de cette énigme. Le bon Valori, qui me hait cordialement, je ne sais pas pourquoi, eut la bonté d'écrire que le présent que le Roi ferait ne devait point être pour moi, qui n'étais porteur de la lettre de V. M. que par accident, mais qu'on devait le donner à l'écuyer qui conduisait les chevaux. Sur cela, lorsque je partis, M. de Puysieulx<16> me parla naturellement. Il me dit qu'il était dans un grand embarras; qu'il voyait, d'un côté, que, portant la lettre de V M., votre intention paraissait être que ce fût moi qui eût le présent, mais que, d'un autre côté, il voyait que M. de Schwerin conduisait les chevaux; que, dans ce doute, il serait bien aise que M. de Chambrier lui dît un mot. Je répondis à M. de Puysieulx que je m'estimais si heureux d'exécuter les ordres de V. M., que je ne pensais point au présent dont il me parlait; que, comme cependant V. M. pourrait penser que c'était ou parce que je n'avais point été agréable au Roi, ou parce que j'avais pu faire quelque faute, que je n'avais point reçu le présent, je le priais de permettre que je vous écrivisse naturellement ce qu'il m'avait dit. Il me répondit que je lui ferais plaisir, et que je le tirerais d'embarras. Voilà, Sire, de quoi il est question. C'est la réponse de M. de Chambrier qui décidera cette affaire. Je supplie V. M. de ne jamais disputer de belles-lettres avec Valori, car je crois qu'il ne me hait que parce que je n'ai pas été de son avis.
J'ai vu ici M. le duc de Richelieu; il m'a dit qu'il avait appris par la voie de ministres que V. M. avait été mécontente de lui lorsqu'il était à Dresde.16-a Il a ajouté qu'il avait écrit à ce sujet une lettre au comte de Rottembourg, qu'il chargeait de le justifier auprès de V. M. J'ai répondu à cela que j'ignorais absolument de quoi il était question, et que V. M. ne m'en avait jamais parlé.
La perte des Français dans la dernière bataille est plus considérable que celle des alliés; les premiers ont eu la victoire, mais il leur en coûte deux mille hommes de plus qu'à leurs ennemis.
M. de Lowendal fait le siége de Bergen-op-Zoom; les trois quarts des gens disent, à l'armée, qu'il ne réussira pas, et peut-être le souhaitent-ils, car ils ne s'aiment guère entre eux.
J'espère que V. M. voudra bien m'apprendre s'il y a rien dans ma conduite qui lui déplaise. Je prends la liberté de lui envoyer cette<17> lettre par la voie de son résident à Aix-la-Chapelle, dans la crainte que celle que je lui adresse en droiture ne s'égare, les postes ici étant souvent en confusion et mal réglées. Je suis avec un profond respect, etc.
14-d La danseuse Marianne Cochois (t. X, p. 195, et t. XI, p. 239), sœur cadette de Babet Cochois.
15-a Envoyé et ministre plénipotentiaire du roi de Prusse à Paris. Voyez t. III, p. 44.
16-a Voyez t. XI, p. 137.