20. AU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 20 août 1747.
Enfin, vous voilà arrivé à Paris, où je suis bien aise de vous savoir. Si vous voulez faire toutes mes commissions, je vous dirai tout ce qu'il me faut, ce que vous me procurerez en tout ou en partie : un ou deux peintres habiles; un bon valet de comédie, car Bollog est parti; une première actrice. NB. Petit a écrit de deux filles qu'il pourra vous montrer. Si elles sont belles, et si elles ont du talent, cela ira le mieux du monde. Si vous pouviez trouver encore quelque homme aimable, d'un bon caractère, qui n'est point pédant, et versé dans la littérature, je serais très-aise d'en faire l'acquisition. Cette lettre-ci vous servira de pleins pouvoirs, et je vous autorise à signer leurs contrats. Pour toutes les personnes de théâtre, il faut les engager pour six ans, sans quoi c'est l'ouvrage de Pénélope que de faire jouer la comédie. Peut-être qu'à votre retour par Metz et Strasbourg vous trouverez quelques bons sujets qui pourront nous servir, sans quoi notre comédie sera à bas l'hiver prochain. Voyez, je vous prie, Gresset pour savoir ce que c'est. Vous trouverez ici, à votre retour, toutes sortes de changements qui sont en mal. Le pauvre Goltz est allé dans ces lieux où Térence et Tabarin23-a sont égaux. Je l'ai assisté. Caton n'est pas mort avec autant de fermeté, parlant comme Lucrèce, disposant de ses affaires comme en santé, et triomphant des vaines terreurs de l'autre vie comme un héros.23-b J'espère que cette lettre sera plus heureuse que les précédentes, et qu'elle vous sera bien<24> rendue. Adieu; je souhaite que vos juges soient plus hâtés à terminer votre procès que vous ne l'êtes à voyager.
23-a Tabarin, personnage célèbre au commencement du XVIIe siècle, et dont le nom a passé en proverbe, était valet ou associé de Mondor, charlatan et vendeur de baume sur le Pont-neuf. Boileau en parle dans l'Art poétique. chant III, v. 398, où il reproche à Molière d'avoir
.. sans honte à Térence allié Tabarin.
23-b Voyez t. VII, p. 15-25.