164. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 28 mars 1761.
Sire,
Je prends la liberté d'envoyer à Votre Majesté la Lettre sur Voltaire dont j'ai eu l'honneur de lui parler dans ma dernière lettre : on m'avait repris l'exemplaire qu'on m'avait prêté, et je n'ai pu en avoir un chez les libraires qu'aujourd'hui.
On débite ici des nouvelles fâcheuses sur un échec que doit avoir eu l'armée du prince Ferdinand; mais j'espère qu'il n'y aura pas la moitié du mal que l'on dit. Si Cassel n'était pas pris, cela serait bien fâcheux. Pour réparer ces mauvaises nouvelles, on a la relation, à Berlin, de l'avantage remporté par le général Sybourg sur l'armée de l'Empire;243-a cela console un peu de l'échec des alliés.
Voici un avis, Sire, que le zèle que j'ai pour V. M. m'oblige de lui donner. Tant que M. de Catt sera auprès de vous, vous aurez un des plus honnêtes garçons qu'il y ait; le secret le plus profond sera gardé sur vos occupations littéraires, et la curiosité du public et de bien des particuliers ne sera point contentée comme elle l'a été autrefois. Les pièces les plus secrètes que vous avez composées il y a quatre ou cinq ans sont entre les mains de cent personnes. M. de Catt, Sire,<244> ignore et ignorera éternellement la justice que je lui rends; mais j'ai des raisons plus essentielles peut-être que vous ne le pensez pour vous donner cet avis, et vous pouvez bien croire que je ne vous parle pas de pareille chose en étourdi et sans fondement. Ne mettez jamais dans l'intérieur de votre appartement qu'un homme que vous ayez éprouvé.
J'espère que V. M. jouira dune bonne santé, et qu'elle aura, cette année, sur ses ennemis tous les avantages que sa fermeté, son courage et sa prudence méritent. Je suis toujours convaincu que tout ira bien à la fin, et que vous aurez la gloire, après avoir résisté à toute l'Europe, de faire une paix bonne et honorable. J'ai l'honneur, etc.
243-a A Langensalza, le 15 février. Voyez t. V, p. 115.