<153> Prague. Les Parisiens, qui aiment assez à plaisanter sur tout, appelèrent cette armée celle des mathurins,a parce qu'elle devait délivrer des prisonniers. M. de Maillebois passa le Rhin à Mannheim, et dirigea sa marche sur Éger.
Depuis que les Prussiens avaient fait leur paix, et que les Saxons s'étaient retirés chez eux, la fortune s'était entièrement déclarée pour la reine de Hongrie. Le prince de Lorraine, après avoir pris Pilsen, vint se camper proche de Prague. M. de Broglie avait pris auprès de Bubenetsch une position dont l'assiette lui était très-désavantageuse. Le canon des ennemis l'obligea de l'abandonner, et de se réfugier dans Prague avec toutes ses troupes; il ne tarda pas à s'y voir assiégé. Les troupes allemandes de la Reine formèrent l'investissement du Petit-Côté; les Hongrois, les Croates et les troupes irrégulières l'enfermèrent depuis le Hradschin jusqu'à la Porte-Neuve, et ils établirent des communications par des ponts sur la haute et la basse Moldau. On compte pour l'événement le plus mémorable de ce siége la grande sortie des Français, dans laquelle ils tuèrent et prirent trois mille hommes aux ennemis, et leur enclouèrent le canon qu'ils avaient en batteries. Les maréchaux de Belle-Isle et de Broglie rentrèrent triomphants dans Prague au retour de cette expédition, suivis de leurs prisonniers, et des trophées qu'ils venaient d'emporter.
Si les Français se rendaient redoutables aux Autrichiens par la vigueur de leur défense, ils n'en étaient pas moins à plaindre dans l'intérieur de leur armée : leur situation était digne de pitié, tant par la mésintelligence de leurs chefs, que par l'affreuse misère à laquelle ils étaient exposés. La disette était si grande, qu'ils tuaient et mangeaient leurs chevaux, pour suppléer à la viande de boucherie, qu'à peine on servait à la table des maréchaux. Dans cette situation déses-
a Les mathurins sont obligés par leur vœu monacal de racheter de l'esclavage les chrétiens captifs chez les Turcs.