<40> vous être attaché quand on a le bonheur de vous connaître; et, si je vous sacrifie le risque de ma vie, on donnera plutôt cette démarche à l'intérêt et à l'ambition qu'à l'attachement, qui en est pourtant le vrai motif. Je ne veux aussi m'en rapporter qu'à V. M. même; je la supplie d'entrer dans ma situation, de fixer mon irrésolution, peine la plus cruelle de l'âme, et j'ose lui demander son conseil comme au meilleur esprit que je connaisse, et ses ordres comme au meilleur maître du monde; et ce sera sans répugnance que je les exécuterai, soit pour rester ici, si vous avez encore la bonté de m'accorder cette dernière grâce, soit pour retourner, dès que j'aurai reçu les ordres de V. M.; et la difficulté des chemins, la saison, mon état de faiblesse, rien enfin ne m'effrayera. Je remplirai la volonté de V. M., et, si je péris dans cette entreprise, je périrai au moins, à ma manière, au lit d'honneur.
J'ai fait auprès de M. d'Alembert les démarches que V. M. m'a prescrites. Il sent tout le prix de la place que vos bontés lui destinent, il en est pénétré de reconnaissance; mais l'amour de la patrie, la jouissance d'une vie absolument libre, la crainte de perdre le commerce de ses amis, une santé délicate qui ne se soutient, selon lui, que par l'air natal, tous ces motifs l'emportent sur le sort brillant qui l'attendrait à Berlin. Mais je lui dois, et à la vérité, d'assurer V. M. qu'il ne regrette uniquement que de ne pouvoir pas l'approcher, et j'en suis d'autant plus fâché, qu'il le mérite plus qu'un autre. C'est un homme rare pour l'étendue des connaissances, les qualités du cœur et les dons de l'esprit; mais c'est un philosophe fidèle à ses principes, et qui ne connaît d'autres biens que la vie et la liberté, tel enfin que serait V. M., si le ciel ne l'avait pas fait naître un grand roi. Il n'a qu'un revenu très-modique, et il se promet bien, Sire, d'aller en jouir dans vos États, si jamais la mauvaise humeur des théologiens le met dans la nécessité de quitter une patrie qu'il aime et dont il est chéri. Il sent que c'est sous vos lois seules qu'un philo-