16. DE M. DARGET.

Paris, 11 juin 1753.



Sire,

J'ai plus consulté mon zèle et mon courage que mes forces quand j'ai espéré retourner aux pieds de V. M. Mes accidents subsistent toujours avec les symptômes les plus inquiétants; l'humeur se porte alternativement de la région de la vessie à la poitrine, et je vois bien que c'est pour toute ma vie que je suis réduit à un état aussi malheureux. J'avais discontinué les remèdes, pour reprendre les forces nécessaires à mon voyage; la malignité de l'humeur qui m'accable ne veut point d'intervalle dans la manière d'être attaquée, et on me menace de plus grands accidents, si je quitte mon air natal, la seule ressource qui me reste dans un état aussi cruel. Je sens bien moi-même que c'est seulement ici où je puis végéter peut-être encore quelques années, et je me vois forcé, Sire, de renoncer au bonheur de reparaître aux yeux de V. M., ou, par de nouveaux délais, de fatiguer encore sa patience, dont mes sentiments pour elle me font toujours trembler de n'avoir que trop abusé. Que V. M. daigne se rappeler les bontés dont elle m'a comblé depuis près de huit ans, l'état sûr et honorable dont je jouissais auprès d'elle, les espérances dont je pouvais me flatter; qu'elle se rappelle enfin la vérité de mon dévouement par la connaissance qu'elle a de mon caractère, et elle verra que l'amour de la vie et l'espoir de la prolonger est le seul objet auquel<45> je puisse sacrifier des avantages qui remplissaient si bien et ma sensibilité, et mon ambition. V. M. me plaindrait, si elle voyait l'état où je suis en lui écrivant cette lettre. Par combien d'objets ne suis-je pas déchiré! Je ne puis me faire à l'idée de perdre à jamais vos bontés, Sire; daignez me les continuer, je ne cesserai jamais de les mériter. Je tiendrai toujours à V. M. par mes vœux, par mon attachement, par ma reconnaissance, et j'irais avec empressement vouer de nouveau mes services à V. M., si ma santé pouvait se rétablir d'une manière constante. Je voudrais, Sire, ne cesser d'être votre domestique qu'en cessant de vivre, et je voudrais ne vivre que de vos bienfaits; ce bonheur comblerait toutes les espérances que je puis former encore. Dieu m'est témoin que je ne les ai mises qu'en V. M. Je connais trop son bon cœur pour ne pas espérer qu'elle ne m'abandonnera pas, et pour ne pas compter au moins sur sa protection et sur son appui dans les occasions où je pourrais l'implorer. Il est digne de vous, Sire, de montrer du souvenir et de la bonté pour un domestique que son malheur arrache d'auprès de vous. Je me mets aux pieds de V. M. pour la supplier de m'accorder un congé qui réponde à la satisfaction qu'elle a bien voulu me marquer de mes services, et qui me soit un témoignage qu'elle ne m'accable point de sa disgrâce. Mon zèle, ma fidélité et mon attachement ne l'ont jamais méritée; j'en renouvelle les aveux à V. M., et c'est avec ces sentiments et le plus profond respect que je suis et serai jusqu'au dernier moment de ma vie, etc.