24. A M. DARGET.
Le 13 mai 1754.
Je vous suis fort obligé, mon bon Darget, des peines que vous vous donnez pour mon théâtre, et je ne doute pas que vos pieuses intentions ne lui portent bonheur. Vous rirez, malgré votre hypocondrie, en apprenant qu'au même jour je reçois des lettres de Maupertuis et de Voltaire, remplies d'injures qu'ils se disent. Ils me prennent pour un égout dans lequel ils font écouler leurs immondices. J'ai fait faire une réponse laconique au poëte, et je me suis contenté de faire souvenir le géomètre que son esprit sortait du centre de gravité au nom du poëte. Je rends grâces au ciel de n'avoir pas les passions aussi vives que ces gens-là, sans quoi je ferais la guerre toute ma vie. Le flegme de nos bons Allemands est, quoi qu'on dise, plus sociable que la pétulance de vos beaux esprits. Il est vrai, de votre propre aveu, que nous sommes pesants, lourds, et que nous avons le malheur d'avoir du bon sens; mais, s'il vous fallait choisir un ami, chez qui le prendriez-vous? L'esprit, mon cher Darget, est un fard qui cache seulement la difformité des traits; le bon sens, moins brillant, par sa justesse même, porte à la vertu, et sans vertu point de société. Mais je ne devrais pas moraliser avec votre hypocondrie; aussi ne le ferais-je pas, si je ne vous savais dans un pays où vous pouvez avoir toutes les dissipations capables de faire évanouir les<53> vapeurs de ma morale. Adieu, mon cher; pissez bien et soyez gai; c'est là tout ce qu'il y a à faire pour vous dans ce monde, etc.