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34. DU MÊME.

Le 8 juillet 1755.



Sire,

Pendant que Votre Majesté se promenait en Hollande dans un incognito qui a bien dû l'amuser, mais que les gens qui ne connaissent pas tout ce que V. M. peut faire n'imaginent jamais pouvoir marcher avec la royauté, j'étais à Liége, où j'ai consulté les plus habiles médecins sur mon état et sur l'effet que je pouvais attendre des eaux de Spa. Ils m'ont annoncé que je ne pouvais en faire usage qu'après deux mois ou six semaines au moins de remèdes et de régimes préparatoires; qu'il fallait, après, boire de la Sauvenière66-a pendant quatre semaines; et, comme tout cela ne pouvait pas s'accorder avec le temps de mon congé et l'état de mes finances, que d'ailleurs, Sire, grâce aux bontés infinies que vous avez daigné me marquer, la satisfaction et le mouvement que m'a occasionnés ce voyage m'ont donné plus de santé que je n'en ai eu depuis bien longtemps, j'ai pris mon parti de revenir tout doucement ici, puisqu'aussi bien j'avais rempli si délicieusement pour mon cœur l'objet principal de ma course.

Je m'empresse, Sire, de me mettre de nouveau aux pieds de V. M., et de lui faire les plus respectueux et, s'il m'est permis de le dire, les plus tendres remercîments de la manière dont elle a bien voulu me recevoir. Quelle récompense, Sire, pour un dévouement aussi vrai et aussi sincère que celui que j'ai voué à V. M., et dont j'ose la supplier de voir toujours avec une égale bonté et les aveux, et les hommages!

J'ai tout lieu d'espérer que la nouvelle démarche que M. le baron de Knyphausen fera en ma faveur et suivant vos ordres, Sire, auprès de M. de Séchelles produira le plus heureux succès, et je pro<67>teste encore à V. M. que je ne désire de fortune que pour pouvoir être en état d'aller de temps en temps lui montrer l'objet de ses bienfaits et prendre à ses pieds de nouveaux motifs de l'aimer et de l'admirer. V. M. a bien voulu me le permettre et me le promettre en me congédiant à Wésel, et je la conjure de ne jamais rappeler de cette grâce.

Voilà, Sire, une Épître nouvelle de M. de Voltaire; je souhaiterais bien avoir le mérite de la nouveauté en l'envoyant à V. M. Il y a des choses charmantes, comme dans tout ce qui vient de lui. Il est dans la plus grande inquiétude sur le sort de sa Pucelle, dont il court des copies dans le monde, et qu'il tremble qu'elle ne soit imprimée; j'ai trouvé ici deux lettres de lui à cette occasion. Il me dit, dans une, avoir envoyé à V. M. le fils de Willelme,67-a qu'elle veut avoir pour son copiste, et qu'il lui a payé son voyage; enfin ses lettres sont toutes tendres et toutes bonnes : il croit avoir besoin de moi.

J'ai vu à Liége un cabinet de tableaux où il y en a deux ou trois qui mériteraient de passer dans la galerie de Sans-Souci; j'ai prié qu'on m'en envoyât le catalogue, sans dire l'usage que j'en voulais faire. Je le ferai parvenir à V. M., et, si ces tableaux peuvent lui convenir, j'ai là quelqu'un qui pourra, à la vente, les acheter avec la conduite que M. Mettra met ici dans ces sortes d'affaires.

J'ai déjà agi pour l'autre commission que V. M. a eu la bonté de me donner, et elle peut être assurée qu'elle sera faite le mieux qu'il sera possible, à son entière satisfaction, dont on est véritablement occupé, et aussi à la manière de M. Mettra.

Je suis avec le plus profond respect, etc.


66-a Une des sources de Spa.

67-a Proprement Villaume. Voyez t. XIX, p. 301.