4. AU MÊME.

Berlin, 24 juillet 1744.

Pour répondre à votre lettre du 11 de ce mois, remplie des marques de votre repentir, je vous dirai que vous avouerez vous-même que votre conduite envers moi a été ridicule, irrégulière, et même indigne. Après vous avoir fait sentir à diverses reprises mes bontés et ma protection, vous ayant, entre autres bienfaits, donné la valeur de six mille écus pour vous tirer de l'abîme de vos dettes, vous vous êtes avisé légèrement de quitter mon service sans rime et sans raison, et avec une imprudence dont il y a peu d'exemples.

Une ingratitude si marquée me devrait empêcher de faire grâce à un homme qui a assez fait connaître que ses prétendues lumières ne sauraient jamais être accompagnées de droiture, de fidélité et de reconnaissance; ce qui me rappelle le souvenir d'une certaine lettre que j'ai trouvée parmi les papiers de feu mon père de glorieuse mémoire, où l'épiphonème était conçu dans ces termes : « Quand deviendrez-vous sage ... mon Dieu! »

On doit conclure de tout cela que, si je voulais agir selon les règles ordinaires de la justice et de la raison, je serais obligé de vous abandonner entièrement, en vous laissant vous tirer vous-même des tristes suites de votre sottise. Mais, comme je veux prendre en considération que, nonobstant votre esprit, la nature vous a refusé le<89> jugement requis pour mener une vie sans reproche, ce qu'elle ne vous accordera peut-être jamais, j'ai pris la résolution de vous accorder encore une fois votre grâce, le pardon et l'oubli de tout ce que vous avez commis, pourvu que vous vous soumettiez cordialement aux conditions suivantes :

1o Que je prétends faire publier par toute la ville de Berlin que personne ne doit s'émanciper de vous prêter quoi que ce soit, ni en argent, ni en marchandises, sous peine de cent ducats;

2o Que je vous défends absolument de mettre le pied dans la maison d'aucun ministre étranger, ou d'avoir un commerce avec eux dans les autres maisons, ou de leur faire des rapports de ce qui pourra être dit à la table ou dans la conversation;

3o Que, toutes les fois que vous serez admis à ma table, trouvant les autres convives en belle humeur, vous éviterez avec soin de prendre mal à propos le visage d'un cocu, et que vous chercherez plutôt de contribuer à soutenir et à augmenter leur joie.

Voilà les points essentiels que j'ai à vous prescrire. Si vous êtes assez sage que de vouloir et pouvoir remplir ces conditions, je suis prêt de vouloir vous accorder une amnistie entière et un oubli de vos fautes. Sur ce, etc.

89-aSi vous aimez mieux servir les cochons que les grands princes, comme vous l'avez dit, vous ne pouvez manquer de condition, et vous trouverez en Westphalie de l'emploi, sans que vous ayez besoin de moi.

Allez, vous êtes un indigne, et, si je vous tire de la misère où vos folies et vos impertinences vous ont réduit, ce n'est que par pitié, car votre conduite mériterait que l'on vous enfermât entre quatre murailles à jamais.


89-a De la main du Roi.