<103> venir sur la terre, sous la figure d'un taureau, enlever Europe; la résurrection d'Orphée qui triomphe des enfers; et enfin une infinité d'autres absurdités et de contes puérils, tout au plus capables d'amuser les enfants. Mais les hommes, charmés du merveilleux, ont de tout temps donné dans ces chimères, et révéré ceux qui en étaient les défenseurs. Ne serait-il pas permis de disputer la raison aux hommes, après leur avoir prouvé qu'ils sont si peu raisonnables?
Votre philosophie me charme. Sans doute, monsieur, tout doit tendre au bonheur des hommes. A quoi sert, en effet, de savoir combien de temps vit une puce, si les rayons du soleil entrent profondément dans la mer, de rechercher si les huîtres ont une âme, ou non?
La gaîté nous rend des dieux; l'austérité, des diables. Cette austérité est une espèce d'avarice qui prive les hommes d'un bonheur dont ils pourraient jouir.
Tantale dans un fleuve a soif et ne peut boire,aSans doute que la nature, se repentant d'avoir fait un être trop heureux dans ce monde, vous a assujetti à tant d'infirmités. Votre fièvre m'inquiète et m'alarme beaucoup. Je crains de perdre solum hominem, mon maître qui m'instruit et me guide; je crains, avec raison, de perdre un homme qui vaut seul plus que toute sa nation.
La nature, à force de travailler, devient plus habile; elle a formé votre cerveau sur tous les bons originaux qu'elle a faits en tous les siècles. Il est à craindre qu'elle se contente de n'avoir fait que ce chef-d'œuvre. Soyez sûr, monsieur, que vos jours me sont aussi chers et aussi précieux que les miens propres.
Ah! si le sort cruel veut attaquer ta vie,
Si pour jamais enfin il veut nous séparer,
a La défense du poëme héroïque (par Desmarets), Paris, 1674, in-4, p. 38, dialogue III.