<116>Qu'on ne dise pas qu'il est indigne d'un philosophe de recourir ici à ce Dieu; car, ce Dieu étant une fois prouvé, comme il l'est invinciblement, il est certain qu'il est l'auteur de ma liberté, si je suis libre, et qu'il est l'auteur de mon erreur, si, ayant fait de moi un être purement passif, il m'a donné le sentiment irrésistible d'une liberté qu'il m'a refusée.
Ce sentiment intérieur que nous avons de notre liberté est si fort, qu'il ne faudrait pas moins, pour nous en faire douter, qu'une démonstration qui nous prouvât qu'il implique contradiction que nous soyons libres. Or certainement il n'y a point de telles démonstrations.
Joignez à toutes ces raisons, qui détruisent les objections des fatalistes, qu'ils sont obligés eux-mêmes de démentir à tout moment leur opinion par leur conduite; car on aura beau faire les raisonnements les plus spécieux contre notre liberté, nous nous conduirons toujours comme si nous étions libres, tant le sentiment intérieur de notre liberté est profondément gravé dans notre âme, et tant il a, malgré nos préjugés, d'influence sur nos actions.
Forcées dans ce retranchement, les personnes qui nient la liberté continuent, et disent : Tout ce dont ce sentiment intérieur, dont vous faites tant de bruit, nous assure, c'est que les mouvements de notre corps et les pensées de notre esprit obéissent à notre volonté; mais cette volonté elle-même est toujours déterminée nécessairement par les choses que notre entendement juge être les meilleures, de même qu'une balance est toujours emportée par le plus grand poids. Voici la façon dont les chaînons de notre chaîne tiennent les uns aux autres.
Les idées, tant de sensation que de réflexion, se présentent à vous, soit que vous le vouliez, ou que vous ne le vouliez pas; car vous ne formez pas vos idées vous-même. Or, quand deux idées se présentent à votre entendement, comme, par exemple, l'idée de vous coucher