<134>Nous ne saurions exiger avec justice que messieurs les métaphysiciens nous donnent une carte exacte de leur empire. On serait bien embarrassé de faire la description d'un pays que l'on n'a jamais vu, dont on n'a aucune nouvelle, et qui est inaccessible. Aussi ces messieurs ne font-ils que ce qu'ils peuvent. Ils nous débitent leurs romans dans l'ordre le plus géométrique qu'ils ont pu imaginer; et leurs raisonnements, semblables à des toiles d'araignées, sont d'une subtilité presque imperceptible. Si les Des Cartes, les Locke, les Newton, les Wolff, n'ont pu deviner le mot de l'énigme, il est à croire, et l'on peut même affirmer, que la postérité ne sera pas plus heureuse que nous en ses découvertes.
Vous avez considéré ces systèmes en sage; vous en avez vu l'insuffisance, et vous y avez ajouté des réflexions très-judicieuses. Mais ce trésor que je possédais par procuration est entre les mains d'Émilie; je n'oserais le réclamer, malgré l'envie que j'en ai; je me contenterai de vous en faire souvenir modestement pour ne pas perdre la valeur de mes droits.
En vérité, monsieur, si la nature a le pouvoir de faire une exception à la règle générale, elle en doit faire une en votre faveur; et votre âme devrait être immortelle, afin que Dieu pût être le rémunérateur de vos vertus. Le ciel vous a donné des gages d'une prédilection si marquée, qu'en cas d'un avenir, j'ose vous répondre de votre félicité éternelle. Cette lettre-ci vous sera remise par le ministère de M. Thieriot. Je voudrais non seulement que mon esprit eût des ailes pour qu'il pût se rendre à Cirey, mais je voudrais encore que ce moi matériel, enfin ce véritable moi-même, en eût pour vous assurer de vive voix de l'estime infinie avec laquelle je suis, monsieur, etc.