34. AU MÊME.a
Remusberg, 6 décembre 1737.
Monsieur, misérable inconstance humaine! s'écrierait un orateur, s'il savait la résolution que j'avais prise de ne plus toucher à mon ode, et s'il voyait avec quelle légèreté cette résolution est rompue. J'avoue que je n'ai aucune raison assez forte pour m'excuser; aussi n'est-ce pas pour vous faire mon apologie que je vous écris; bien loin de là, je vous regarde comme un ami sûr et sincère, auquel je puis faire un libre aveu de toutes mes faiblesses. Vous êtes mon confesseur philosophique; enfin j'ai si bonne opinion de votre indulgence, que je ne crains rien en vous confiant mes folies. En voici un bon nombre : une Épître qui vous fera suer, vu la peine qu'elle m'a donnée; un petit conte assez libre,b qui vous donnera mauvaise idée de ma catholicité, et encore plus de mes hérétiques ébats; et enfin cette ode à laquelle vous avez touché, et que j'ai eu la hardiesse de refondre. Encore un coup, souvenez-vous, monsieur, que je ne vous envoie ces pièces que pour les soumettre à votre critique, et non pour gueuser vos suffrages. Je sens tout le ridicule qu'il y aurait à moi de vouloir entrer en lice avec vous, et je comprends très-bien que, si quelque Paphlagonien s'était avisé d'envoyer des vers latins à Virgile pour le défier au combat, Virgile, au lieu de lui répondre, n'aurait pu mieux faire que de conseiller à ses parents de l'enfermer aux Petites-Maisons, au cas qu'il y en eût en Paphlagonie. Enfin je ne vous demande que de la critique et une sévérité inflexible. Je suis à présent dans l'attente de vos lettres; je m'en promets tous les jours
a Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes. t. VIII, p. 316-319.
b La Bulle du pape, t. XIV. p. 172-177.